Cet homme rachète la Corse

Une république du Caucase régulièrement pointée du doigt par les instances internationales peut-elle s'offrir un village corse et plusieurs dizaines de milliers d’hectares de terres ? C’est ce qu’est en train de réaliser le Fradjighistan, premier exportateur mondial de nèfles génétiquement modifiées. Enquête

Ronzicaggio, 27 habitants à l'année. Longtemps enclavée, frappée de plein fouet par la désertification rurale, l'ancienne capitale du Moyen-Bozziu n’offre que peu d’attraits. Connu pour être le seul village corse n’ayant jamais compté le moindre berger, l’épicerie-centre de soins-tripot y a fermé depuis longtemps pour des raisons d’ordre sanitaire et plus aucun commerce n’y subsiste désormais. Après avoir accueilli un temps le Festival du contreplaqué qui animait les journées en hautesaison, Ronzicaggio s’est endormie d’un sommeil que ses rares habitants croyaient éternel. Pourtant, cette petite commune dirigée d'une main de fer-blanc par Augustin Tribbia, son impétueux premier magistrat, est l’une des plus étendues de l’île avec quelques soixante mille hectares de terres – certes peu cultivables. Et c’est précisément autour de ce capital que se noue son destin depuis quelques mois. Dans le plus grand secret.


Pour comprendre les tenants et les aboutissants d'un épineux hors-normes, il faut d’abord accomplir les dix-heures de vol qui permettent de gagner le Fradjighistan, une république du Caucase inférieur. Le pays, qui compte treize millions d’habitants et fut longtemps été surnommé le « pot de la chambre de la région » par l’ensemble des conquérants de l’Histoire, d’Alexandre le Grand aux Mongols, bénéficie d’un climat exceptionnellement peu clément, balayé par des vents glacés en hiver (La Trasmuntanj, responsable de plusieurs centaines de morts par hypothermie chaque année) et écrasé par une chaleur torride en été (la période des Sulleonj, qui transforme la terre, selon un dicton local, en « plaque de four industriel à pizza »). Longtemps satellite de l’Union soviétique, il a cependant connu un développement foudroyant – quoique peu partagé – après la chute du mur de Berlin et le pustch de 1992 qui a vu Nazapoulardov Testadikulj, chauffeur-livreur à mi-temps, enfoncer les grilles du palais gouvernemental en marge d’une manifestation populaire réclamant du pain « au moins une fois par quinzaine ».

L’épisode, toujours objet de controverses entre historiens (la plupart estime qu’ivre, le futur président à vie a simplement grillé un feu de signalisation) a cependant porté à la tête du pays M. Testadikulj, lequel a aussitôt engagé un important train de réformes qui a dixit, les manuels scolaires,« changé à jamais la face de notre vertueuse patrie ». En l'espace de quelques années, du nord au sud du Fradjighistan, ont fleuri centrales nucléaires et puits de pétrole – le sous-sol renferme 18 % des réserves mondiales – grâce aux investissements massifs réalisés par des dizaines de firmes étrangères, dont les fleurons du secteur français. Pour ne pas délaisser « une tradition agronomique locale » dont l’histoire ne conserve cependant nulle trace, le gouvernement fradjighistanais a également lancé un vaste plan de développement de organismes génétiquement modifiés en collaboration avec des multinationales occidentales et figure dorénavant sur la plus haute marche – et la seule – du podium mondial des exportateurs de nèfles OGM. Conséquence : le pays dispose de liquidités qualifiées de « stratosphériques » par le Fonds monétaire international. Un Everest de pétro-néflodollars soigneusement mis à l’abri dans plusieurs fonds de pension et autant d’établissements bancaires caribéens. 

Parmi les projets du Fradjighistan : un tunnel à six voies Venaco-Vivario et l'implantation de quatre nouveaux aéroports internationaux

UNE DÉLIBÉRATION MUNICIPALE EN CATIMINI

« Grâce aux revenus procurés par notre industrie et notre agriculture, nous sommes assis sur une montagne d'argent dont nous ne savons plus que faire explique Fedor Srukonovskij, proche du présidentgénéral à vie Testadikulj et directeur de la Banque centrale d'investissements fradjighistanaise. Or, nous avons un cruel besoin de débouchés et aucun pays n'est prêt à accepter nos investissements en raison d'avoirs bancaires prétendument sales. Fort heureusement, nous avons trouvé à Ronzicaggio l'oreille compatissante de M. Tribbia, que nous avons fait citoyen d’honneur de Lokupersuj, notre capitale, lors d’un voyage officiel le mois dernier ». Après plusieurs mois de discrets contacts, le projet formé par le gouvernement du Fradjighistan a fini par être concrétisé au cours d’un conseil municipal express en avril 2015.

'‘Le problème n'est pas si grave : la Corse a déjà été vendue deux fois...’’ 
Une source diplomatique française

La délibération, que nous nous sommes procurée (voir ci-après), est sans équivoque : à l’unanimité – moins les membres de l’opposition, excusés – les conseillers municipaux ont voté en faveur de « la cession de l’intégralité du territoire de la commune » à une société d’économie mixte dirigée par Nazapoulardov Testadikulj, l’inflexible leader du Fradjighistan. Objectif du projet : favoriser le « rapprochement économique et culturel de nos deux contrées », dixit une source proche du dossier. Le terme de « contrée » n’est pas innocent : si le Fradjighistan est bien un Etat – certes reconnu exclusivement par la Corée du Nord et l’Ouganda à ce jour – Ronzicaggio constitue en revanche une commune corse de France et ne saurait, à ce titre, faire l’objet de la moindre cession. « Nous avons bien cerné le problème mais avec un peu de retard, il est vrai », affirme-t-on du côté de la préfecture de Région, selon laquelle le contrôle de légalité de la délibération municipale « ne souffre à première vue d’aucune anomalie, le document ayant bien été rédigé sur une feuille A4 ».

Le premier magistrat de Ronzicaggio montre au président Testadikulj l'endroit où a été donné le premier coup de pioche, en octobre dernier, pour le percement du canal qui devrait relier le village à la côte, distant de trente-neuf kilomètres. « Si Ronzicaggio ne va pas à la mer, la mer viendra à Ronzicaggio » veut se convaincre le maire.

Cellule de crise à la CTC et embarras de la diplomatie française

Rappelés d'urgence alors qu'ils assistaient à l’inauguration d’un buste dédié à Gilormino, le mulet de la femme de chambre de Pasquale Paoli, Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni, respectivement président du Conseil exécutif de la Corse et président de l’Assemblée de Corse, ont immédiatement regagné l’hôtel de région, où une cellule de crise a été mise en place. « Devant l’absence de réaction de la France, nos présidents pourraient bien ordonner la tenue d’une cunsulta exceptionnelle dans les ruines du Couvent de Casabianca, dès que leurs cabinets auront rédigé un communiqué commun, ce qui ne devrait prendre que quelques semaines », souffle un membre du cabinet de Jean-Guy Talamoni, ulcéré par « l’effroyable perfidie d’un pays que nous considérions jusqu’ici comme ami ». Gilles Simeoni, quant à lui, a été sollicité pour la neuvième fois afin d’exprimer son point de vue sur le plateau du Grand Journal de Canal+, d’où il n’est pas exclu qu’il annonce, selon son entourage, d’importantes mesures – voire un « état de siège territorial » pour lequel il a commandé deux audits à des cabinets spécialisés.


Spontanément, l’amicale des Anciens Volontaires du FLNC et Mouvements associés a offert ses services dans un communiqué non authentifié, par ailleurs truffé de références incohérentes à divers épisodes de l’histoire locale récente comme une affaire de fraude au lait de brebis et la fermeture administrative d'un bar de la Plaine orientale. Transmis à la Direction régionale de la Police judiciaire, le communiqué a motivé l’ouverture d’une information judiciaire pour « apologie de crimes de guerre et association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste». Soixante-huit personnes ont d’ores et déjà été interpellées dans le cadre de ce dossier et vingt-sept d’entre elles transférées par avion militaire spécial à Paris où elles sont actuellement interrogées dans les locaux de la Sous-direction antiterroriste, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). 

« C’est à dire que... » Fort mal à l’aise, Pierre- Gonzague Choiseul-de-Marboeuf, chef du Département des affaires caucasiennes au ministère des Affaires étrangères, avoue «ne pas savoir quoi répondre en raison de la soudaineté de la nouvelle». Avisé par simple câble diplomatique émis par l’antenne de l’Ambassade du Fradjighistan à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), le haut fonctionnaire du Quai d’Orsay assure avoir alerté le ministre dès la réception du courrier. En vain. «Je n’ai aucune nouvelle à ce jour» balaie-t-il d’un revers du bouton de manchette avant d’estimer que «le problème n’est pas si grave puisque la Corse a été cédée deux fois à des puissances étrangères.» Si le haut fonctionnaire confesse ne pas savoir «très exactement» où se situe l’île de Beauté, il assure en revanche cas que «le gouvernement de la République ne devrait pas, a priori, rester les bras croisés», sans autre précision.