Des voix dans le Cirque
PrĂšs d'un an aprĂšs le drame du Cirque de la Solitude, proches et victimes parlent
Neuf mois aprĂšs le drame qui a coĂ»tĂ© la vie Ă sept randonneurs dans le Cirque de la solitude, nous avons retrouvĂ©, en rĂ©gion parisienne et en Belgique, les rescapĂ©s et la famille de l'une des victimes. Ils sont revenus sur ce terrible 10 juin 2015, et nous ont parlĂ©s de ceux qui ne sont plus lĂ . Leurs tĂ©moignages sont bouleversants. GrĂące Ă eux, les disparus ne sont plus de simples numĂ©ros dans le bilan de la plus grande catastrophe de lâhistoire du GR 20
RepĂšres
Deux mois de recherches
10 juin 2015.
Au dĂ©but de l'aprĂšs-midi, au plus fort dâun violent orage, une coulĂ©e de pierres et de terre fauche un groupe de dix randonneurs qui venait dâentamer la remontĂ©e des Cascittoni cĂŽtĂ© sud. Les secours viennent en aide aux trois survivants, tandis que deux dĂ©cĂšs sont constatĂ©s le jour mĂȘme. Celui de CĂ©line Cardinali, 26 ans, et de son compagnon Arthur Delage, 25 ans. Un troisiĂšme corps est retrouvĂ© peu aprĂšs, celui de Thibaut Matton, 24ans, qui ne sera identifiĂ© que trois jours plus tard.
11 juin 2015.
LâenquĂȘte dont la Brigade de recherche de la gendarmerie de Corte est en charge se poursuit, avec le soutien du PGHM qui continue Ă fouiller le fond du Cirque oĂč les blocs de granite ont enseveli les autres victimes. Le corps de Jean-Luc Lederlin, 66 ans, est retrouvĂ© et identifiĂ©.
15 juillet 2015.
Un autre corps est retrouvĂ©. LâADN permet dâidentifi er Didier Picard, 62 ans.
28 juillet 2015.
Deux personnes sont encore portĂ©es disparues ce jour oĂč un sixiĂšme corps est localisĂ© au fond de la coulĂ©e. LâADN permettra dâidentifi er Bernard Curien, 63 ans, le 7 aoĂ»t.
15 août 2015.
La découverte du corps de Maxime Flippo, 33 ans, met un point fi nal aux recherches.
Il Ă©tait libre, Max...
A 33 ans, Maxime Ă©tait le benjamin du trio de collĂšgues et amis partis faire le GR 20. BenoĂźt et Pascal l'ont perdu dans le piĂšge mortel des Cascittoni.
L'aprĂšs-midi de notre rencontre Ă son domicile de Boulogne-Billancourt, BenoĂźt Cristin, 37 ans, avait rendez-vous chez son psy. Pascal Bertho, 40 ans, sâest astreint Ă quelques mouvements de rotation de lâĂ©paule droite pendant toute la durĂ©e de lâentretien. Les plaies, quelles quâelles soient, sont longues Ă cicatriser. Sur les trois rescapĂ©s du Cirque, BenoĂźt sâen est tirĂ© avec les blessures les plus lĂ©gĂšres.
Une chance inouĂŻe qui lâa malgrĂ© tout contraint, en toute conscience, Ă encaisser la scĂšne dâhorreur qui venait de se jouer sous ses yeux. Pascal, lui, a Ă©chappĂ© Ă la mort au prix de lĂ©sions trĂšs sĂ©rieuses. Il se remet doucement, mais sa rĂ©Ă©ducation va lui imposer une opĂ©ration de plus, trĂšs prochainement. Neuf mois aprĂšs le drame, ils ont pourtant trouvĂ© la force de tĂ©moigner, de plaisanter.
Le souvenir de celui qui nâest plus lĂ les pousse Ă regarder vers la vie. Câest lâhistoire de trois collĂšgues fonctionnaires Ă la RĂ©pression des fraudes, devenus amis Ă force de partager une passion sans limite pour les activitĂ©s sportives de pleine nature. «On sâest surtout rapprochĂ©s durant nos formations», observe BenoĂźt, basĂ© comme Pascal en rĂ©gion parisienne, tandis que Maxime Flippo vivait et travaillait sur Montpellier. Mais la distance nâa pas rompu les liens. Max...
Il Ă©tait le benjamin de la joyeuse Ă©quipe qui sâĂ©tait prĂ©parĂ©e Ă affronter la plus redoutable voie de randonnĂ©e dâEurope. De ces sombres instants au cours desquels le piĂšge des Cascittoni sâest refermĂ© sur dix randonneurs, Pascal a gardĂ©, au-delĂ de ses blessures, un Ă©norme trou noir Ă partir dâun instant tragique. «La derniĂšre image, câest Max heurtĂ© par un caillou». BenoĂźt, en revanche, se souvient de tout. Dâabord de cette Ă©paisse nappe de brouillard qui remontait du fond du cirque.
«Câest Ă partir de lĂ que le temps sâest gĂątĂ©. Le ciel Ă©tait bleu, je ne me souviens que dâun seul nuage, pas vraiment inquiĂ©tant, car câest du fond que ça sâest levĂ©. Nous Ă©tions tout en bas quand de la pluie fi ne a commencĂ© Ă tomber. Nous nous sommes arrĂȘtĂ©s pour mettre nos vĂȘtements impermĂ©ables, avant dâentamer la remontĂ©e».
A cet instant-lĂ , BenoĂźt, Pascal et Maxime ne sont plus seuls. La veille, au refuge dâAsco, ils avaient sympathisĂ© avec dâautres groupes de randonneurs. «Lâambiance Ă©tait bonne, le dĂ©cor Ă©tait magnifique, on kiffait», confie Pascal. DĂšs lors, le groupe de dix randonneurs est constituĂ©. Celui qui va vivre le drame...
Ni Pascal, ni BenoĂźt ne se souviennent avoir vu le moindre Ă©clair, ni avoir entendu un seul coup de tonnerre, mais lĂ -haut, au bord de «lâentonnoir», les Ă©lĂ©ments se dĂ©chaĂźnent.
«La coulĂ©e, câĂ©tait tout simplement un torrent de pierres et de terre, ça ressemblait aux effets spĂ©ciaux des films amĂ©ricains, sâefforce de dĂ©crire BenoĂźt. Les blocs de granite jaillissaient tellement vite sur nous».
Quelques minutes auparavant, le groupe sâĂ©tait dĂ©lectĂ© dâun spectacle: le ruissellement qui, tout autour de cirque, ressemblait Ă une toile dâaraignĂ©e qui se tissait, magnifiĂ©e par une Ă©claircie furtive... Une belle image que la vision de mort qui a suivi nâa pas effacĂ©.
Celle qui, pendant de longues minutes, a laissĂ© BenoĂźt tout seul, lĂ©gĂšrement blessĂ© mais libre de ces mouvements, pensant ĂȘtre le seul survivant, jusquâĂ ce que Pascal, puis LĂ©opold (lire par ailleurs), parviennent Ă donner signes de vie malgrĂ© un Ă©tat bien plus prĂ©occupant.
''Les parents de Max m'ont dit : « Le bon Dieu a épargné le pÚre de famille »''
BenoĂźt a fait ce qu'il a pu, dans des conditions apocalyptiques, pour porter secours Ă ses compagnons avant de donner lâalerte, et aider lâenquĂȘte qui sâest essentiellement appuyĂ©e sur son tĂ©moignage. Mais une image le torture encore.
«Quand la coulĂ©e a emportĂ© Max, je lâai agrippĂ©, mais je nâai pas pu le retenir... Je serais parti aussi et je me suis dit: ''Jâai trois enfants, je ne peux pas...''».
Maxime Flippo, 33 ans, originaire du nord, «un jouisseur de la vie, un bon caractĂ©riel aussi, et surtout un marrant», lĂąche Pascal qui se prend Ă fredonner le vieux tube dâHervĂ© Cristiani Ă lâĂ©vocation de la personnalitĂ© de son ami: «Il est libre, Max...».
Les propos de ses parents ont soulagĂ© BenoĂźt: «Quand je leur ai racontĂ©s ce qui sâĂ©tait passĂ©, ils mâont dit que le bon Dieu avait Ă©pargnĂ© le pĂšre de famille». LâidĂ©e de faire le GR a dâabord Ă©tĂ© celle de Maxime, ses deux amis se sont laissĂ©s convaincre.
«Il nous avait dit quâil lâaurait fait tout seul de toute façon», glisse BenoĂźt. «Pour ça, il Ă©tait incroyable, ajoute Pascal. Il y a quelques annĂ©es, il Ă©tait parti Ă lâaventure en AmĂ©rique du Sud, sans parler la langue».
Le GR 20 leur a pris leur ami, ils ne le maudissent pas pour autant. Ils veulent revenir. BenoĂźt aimerait revoir le Cirque, pour tenter de comprendre... «Sâil y a vraiment quelque chose Ă comprendre».
Pascal aimerait rependre une route coupĂ©e par le destin tragique, «pour aller jusquâau bout. Ce sentier est extraordinaire, il a une histoire qui ne peut se rĂ©duire Ă ce drame». SoulagĂ©s, ils le sont aussi, aprĂšs les conclusions dâune enquĂȘte qui nâa retenu aucun acte dâimprudence de leur part.
La polĂ©mique stĂ©rile dans lâopinion nâavait aidĂ© ni les rescapĂ©s, ni les familles Ă panser leurs plaies. Ils prĂ©fĂšrent garder lâĂ©lan de solidaritĂ© exemplaire dont ils ont bĂ©nĂ©ficiĂ©, et ces images de la montagne que BenoĂźt Ă©voque encore avec des Ă©toiles plein les yeux. «Quand on voyait le soleil se lever, on se sentait vivants».
Ce sourire qui défiait
le monde
Qui était Thibaut Matton, la plus jeune des victimes du Cirque de la solitude? Le Bruxellois de 24 ans étudiait la kinésithérapie et donnait de son temps aux autres. Son pÚre, et son ami Léopold Vanbelligen qui a survécu au drame, nous l'ont raconté
Il souffrait beaucoup physiquement au moment oĂč il reprit connaissance, plus d'une heure aprĂšs les faits.
«Mais jâai vraiment pris conscience de la gravitĂ© de la situation quand jâai entendu ''Delta charlie delta'', dans les conversations des secouristes»
LĂ©opold, 25 ans, nâoubliera jamais cet instant oĂč il a du dire adieu Ă Thibaut, cet ami qui ne se rĂ©alisait que dans son rapport Ă lâautre. «CâĂ©tait quelquâun de trĂšs extraverti, une incroyable chaleur humaine se dĂ©gageait de lui». «Super»!
Telle avait Ă©tĂ© la rĂ©action du jeune Ă©tudiant en kinĂ©sithĂ©rapie le jour oĂč il dĂ©cida de sâassocier au projet de LĂ©opold et dâun autre de ses amis, lequel fut contraint de renoncer Ă cause dâune blessure.
Thibaut et LĂ©opold constitueront le duo qui sâembarquera pour la Corse. Le rescapĂ© du drame a toujours du mal Ă parler de ce 10 juin 2015, mĂȘme sâil sâefforce dâaller de lâavant.
«Le temps fait son oeuvre, jâai Ă©tĂ© aussi trĂšs bien entourĂ© dĂšs mon retour en Belgique. Mes proches ont su adopter le bon comportement Ă mon Ă©gard. Mon travail, dans la recherche scientifique, mâa beaucoup aidĂ© aussi, tout comme lâĂ©nergie trĂšs positive qui se dĂ©gage plus que jamais dans lâentourage de Thibaut».
Tous les mois, dĂ©sormais, une grande rĂ©union conviviale a lieu chez ses parents. Sa famille et ses proches sây retrouvent. Un Ă©vĂ©nement annuel est en prĂ©paration, le temps dâun week-end dans les Ardennes. La joie y rĂ©gnera. Pour Thibaut, il ne pouvait en ĂȘtre autrement. Son pĂšre le confirme volontiers.
«Il adorait chanter, accompagnĂ© de sa guitare. Il adorait aussi organiser des spectacles et se dĂ©guiser», raconte Etienne Matton qui nous a envoyĂ© par La Poste des souvenirs de lâintense activitĂ© de son fils.
Les documents attestant de son implication dans le scoutisme, au service dâune jeunesse en difficultĂ©, lâhommage que lui a rendu «LâEtincelle», le journal Ă©tudiant dont il contribuait Ă la parution.
Dernier nĂ© dâune fratrie de quatre enfants, Thibaut Ă©tait poussĂ© par cette mĂȘme quĂȘte des rapports humains dans la construction de son parcours professionnel.
«Câest pour ça quâil sâĂ©tait rĂ©orientĂ© vers la kinĂ©sithĂ©rapie aprĂšs trois annĂ©es dâĂ©tudes de bio-ingĂ©nieur. A lâunitĂ© de soins palliatifs de la clinique Saint-Luc de Bruxelles oĂč il a fait son stage, la directrice nous a dit quâil avait fait forte impression, parce quâil arrivait Ă redonner de la sĂ©rĂ©nitĂ© aux malades».
Au sommet des montagnes, ses amis se prennent en selfi e avec un badge Ă son effigie
Partout oĂč Thibaut est passĂ©, les tĂ©moignages sont unanimes. Avant de partir faire le GR 20 en Corse, il venait de boucler un sĂ©jour d'Ă©tudes Ă Dublin. Il y marqua tellement les esprits que ses amis avaient carrĂ©ment dĂ©cidĂ© de louer un restaurant pour son anniversaire.
LĂ©opold sâinscrit volontiers dans cette dynamique qui lâaide aussi Ă se reconstruire. A-t-il gardĂ© pour autant lâamour de la montagne? «Bien sĂ»r, assure-t-il. Je reviendrai sur le GR 20. Peut-ĂȘtre pas cette annĂ©e, mais je reviendrai. Vous savez, en Corse, nous avons rencontrĂ© des gens extraordinaires. Avant et aprĂšs le drame. Revenir, ça voudra dire aussi honorer la mĂ©moire de Thibaut».
Une mémoire que ses amis honorent déjà , depuis son décÚs. En se faisant des selfies au sommet des montagnes, avec un badge à son effigie. Ils pensent à Thibaut, dont le recto de la carte de remerciement adressée par sa famille aprÚs ses obsÚques, transmettait le message de celui qui «est juste parti camper dans les coeurs».
Au verso de cette carte, le choix dâun passage de Gatzby le magnifique, roman de Francis Scott Firzgerald. Pour garder le meilleur.
«Il mâadressa un sourire complice. Un de ces sourires rares, source dâĂ©ternel rĂ©confort, comme on nâen rencontre que quatre ou cinq dans sa vie. Un sourire qui dĂ©fiait - ou semblait dĂ©fier - briĂšvement le monde entier, puis se focalisait sur vous comme sâil vous accordait un prĂ©jugĂ© irrĂ©sistiblement favorable. Qui vous comprenait, dans la mesure exacte oĂč vous souhaitiez ĂȘtre compris. Qui croyait en vous comme vous auriez voulu croire en vous-mĂȘme».
Testament d'un montagnard
Les Curien auraient pu haïr la Corse. Sa montagne leur a pris Bernard, emporté le 10 juin dernier par la terrible coulée. L'ßle est pourtant devenue leur terre de coeur, léguée en héritage, depuis le paradis des randonneurs.
Depuis que son grand-pĂšre n'est plus lĂ , MaĂ«lle, 2 ans et demi, ne cesse dâenvoyer des baisers vers le ciel. Elle est encore trop petite pour cerner la personnalitĂ© de celui que les innombrables photos de famille dĂ©voilent dĂ©jĂ .
Bernard Curien y porte souvent sa tenue de baroudeur, au coeur dâun environnement qui lui Ă©tait familier : la montagne. Le 10 juin dernier, sur un GR20 quâil avait dĂ©jĂ parcouru de bout en bout en 2011, lâingĂ©nieur informatique retraitĂ© dâIBM a Ă©tĂ© happĂ© par la coulĂ©e.
Son corps ne sera retrouvĂ© que le 28 juillet. Il avait 63ans. Au-delĂ de la mort, BĂ©atrice, son Ă©pouse, nâa aujourdâhui quâun seul mot pour qualifier Bernard quand elle repense Ă ses nombreuses expĂ©ditions sur les montagnes du monde.
«Il était invincible»
Le Vosgien, originaire de Remiremont, Ă©tait un vrai montagnard, rompu aux techniques de lâalpinisme, habituĂ© aux nuits Ă la belle Ă©toile et aux conditions les plus extrĂȘmes. A son actif, il comptait de redoutables courses comme celle quâil accomplit dans le Kamtchatka, la pĂ©ninsule volcanique de lâExtrĂȘme-Orient russe. 1250 km de long, avec un point culminant Ă 4835 m.
Ses aventures lâavaient Ă©galement conduit sur un traĂźneau, au-delĂ du cercle polaire, pour crapahuter sur les coins les plus hostiles de lâĂźle norvĂ©gienne de Spitzberg.
«Il nous a donnĂ© le goĂ»t de lâeffort», confie ClĂ©mence, sa fille qui, quelques heures aprĂšs le drame, dĂ©barqua en Corse avec sa soeur Isabelle, et Claire, la soeur jumelle de son pĂšre (lire par ailleurs).
Sous le choc, la famille se souvient encore de son arrivée à la gendarmerie de Corte, dans un état second.
Dans son carnet , la citation de voltaire : « La montagne n'est pas dangereuse, on peut juste y perdre la vie... »
«J'Ă©tais prĂȘte Ă monter sur les lieux, Ă creuser le sol avec mes mains», se souvient ClĂ©mence. Dans les jours qui ont suivi, face Ă la terrible absence, plusieurs sentiments se sont bousculĂ©s dans les esprits et dans les coeurs.
La famille Curien ne pouvait faire son deuil, mais autour dâelle, la solidaritĂ© a aidĂ© Ă la prise de conscience progressive. Le 30 juin dans une belle Ă©glise de Rochefort- en-Yvelines, une cĂ©rĂ©monie religieuse a rendu hommage Ă Bernard.
En lieu et place du cercueil, son vieil Ă©quipement de montagnard, et une grande photo sur laquelle il posait avec son ami Jean Lederlin, fidĂšle compagnon disparu lui aussi dans lâaccident.
Au deuil que la dĂ©couverte dâun corps rendra plus aisĂ©, viendra le temps du «pĂšlerinage». A la fin de cet Ă©tĂ© 2015, le plus pĂ©nible de leur vie, BĂ©atrice, Isabelle, ClĂ©mence, Claire et son mari Yves, sont revenus en Corse.
Pour mieux faire connaissance avec cette ßle qui, curieusement, ne leur inspire aucun sentiment négatif, revoir les gens qui, quelques semaines auparavant, leur avaient tendus la main...
JusquâĂ sâen aller faire un bout de GR 20. A lâĂ©vidence, Bernard leur a laissĂ©s en hĂ©ritage lâamour de cette terre oĂč il a pourtant perdu la vie.
«On se sent viscĂ©ralement liĂ©s Ă la Corse». Les tĂ©moignages des rescapĂ©s du Cirque sont unanimes. Au moment oĂč le groupe de 10 randonneurs sâest spontanĂ©ment constituĂ© dans la traversĂ©e du redoutable «entonnoir minĂ©ral», Bernard Ă©tait le plus Ă lâaise physiquement, techniquement. Le plus enclin Ă plaisanter aussi.
«On nous a dit que quelques secondes avant le drame, il chantait, un vieux chant connu de la famille», glisse Isabelle. Avec le recul, la maman de la petite Maëlle contient son émotion pour affirmer:
«CâĂ©tait une belle mort. Quand on pense quâil faisait ce quâil adorait, Ă la solidaritĂ© qui a suivi autour de nous de la part de gens que nous ne connaissions pas, aux amis que nous avons gagnĂ©s»
ClĂ©mence confirme: «Il disait souvent quâil souhaitait mourir en montagne». AprĂšs la dĂ©couverte du corps de Bernard, sa famille a rĂ©cupĂ©rĂ© quelques objets auprĂšs des services de gendarmerie: un chapeau quâil portait tout le temps, deux tee-shirts, une paire de chaussures, et dans le portable de Jean, les derniĂšres photos, prises sur le parcours.
On y voit Bernard attablĂ© au ''GR 20'', le bar de Calenzana, tout prĂšs du dĂ©part, ou encore au petit matin sur lâaire de bivouac, Ă peine sorti de sa tente.
Elles gardent le tout prĂ©cieusement, avec les souvenirs indĂ©lĂ©biles de lâenfant de Remiremont, fils dâun vice-prĂ©sident du Club alpin qui profitait de ces dimanches pour donner Ă ses enfants le goĂ»t de la marche. Bernard a accrochĂ©, et nâa plus jamais lĂąchĂ©.
Ses proches Ă©voquent un homme gĂ©nĂ©reux, dans la vie comme dans lâeffort, calme, pragmatique, toujours prudent, «Mais il ne comptait jamais quand il fallait se dĂ©passer, raconte Isabelle. Au point de monter Ă pied quand il y avait un tĂ©lĂ©phĂ©rique. Quand nous partions ensemble, ajoute BĂ©atrice, jâavais toujours un petit sac trĂšs lĂ©ger. Lui, il emportait son matĂ©riel complet. Je lui disais souvent: ââMais tu nâa pas besoin de tout çaââ».
Celui qui prenait Ă©galement plaisir Ă travailler le bois avait lu plusieurs fois lâouvrage «Premier de CordĂ©e».
Un rĂŽle quâil assuma jusquâau bout, le 10 juin dernier dans les Cascittoni. Dans un carnet de notes, sa famille a retrouvĂ© une citation de Voltaire: «La montagne nâest pas dangereuse, on peut juste y perdre la vie, tandis quâen ville, on devient bĂȘte et mĂ©chant».
On ne sait si Bernard Curien avait fait de cette maxime sa propre devise, mais lâhomme a sans nul doute accompli son destin.
Claire a tracé son Saint-Jacques-de-Compostelle
L'Ă©tĂ© prochain, les Curien vont revenir en Corse. Isabelle, son Ă©pouse, et sa soeur ClĂ©mence vont sâengager Ă nouveau sur le GR20. Quant Ă Claire, la soeur jumelle de Bernard, elle prĂ©pare un incroyable projet. «Câest trĂšs difficile pour moi, je nâai pas fi ni mon histoire avec Bernard».
Cette histoire, elle espĂšre lâachever Ă sa façon aux alentours du 15juillet, au bout dâun long pĂšlerinage Ă pied dont le parcours sâimpose naturellement.
«De la maternitĂ© de Remiremont, oĂč Bernard et moi avons vu le jour... jusquâau Cirque de la solitude. Depuis la mort de mon frĂšre, je suis amputĂ©e dâune partie de moi-mĂȘme. Je veux faire quelque chose pour lui, et pour toutes les autres victimes de ce drame».
Elle partira le 15 mai, aprĂšs le week-end de PentecĂŽte, pour sâengager au sud, sur le GR 5, par les massifs des Vosges, du Jura et des Alpes, jusquâĂ Nice oĂč elle prendra le bateau pour Calvi, avant de reprendre sa marche jusquâĂ Calenzana oĂč lâattend le GR 20 que son frĂšre aimait tant.
Au total, Claire va parcourir 900 km. «Je connais dĂ©jĂ le parcours dans les Vosges et le Jura, je nâai pas prĂ©vu de trop longues Ă©tapes, et jâaurai beaucoup dâaccompagnateurs».
Deux mois pour son «Saint-Jacques-de-Compostelle». Elle y tient par dessus tout.