En Haïti, une humanitaire corse sur le front de l'ouragan


Au cœur de ce désastre, Amandine Stolfi, humanitaire pour la Fondation Rapino nous livre son quotidien.

Haïti. A huit mille kilomètres de la Corse. Une nouvelle fois, ce pays parmi les plus pauvres de la planète se retrouve dans l'oeil du cyclone – de l’ouragan Matthew, pour être précis.

 Avec ses vents de 230 kilomètres/heure, dans la nuit du 3 au 4 octobre, il a emporté (pratiquement) tout sur son passage, frappant durement cette partie de l’île d’Hispaniola qui ne se remet toujours pas du terrible séisme de 2010. 

Pourquoi en parler dans les colonnes de notre hebdomadaire, dont les préoccupations immédiates devraient être éloignées de ce morceau de terre oublié de Dieu mais pas des hommes ?

 Au-delà de la compassion que le drame fait forcément naître, traiter de ce sujet nous permet de mettre en lumière le travail d’une jeune Corse qui se bat, avec d’autres, pour sauver les populations civiles confrontées à la destruction et au cortège de malheurs qui l’accompagnent : maladies, pillages, violences, viols, famine. 

Elle s’appelle Amandine Stolfi, a trentesix ans, est originaire du Fium’Orbu et son témoignage est précieux. 

D’abord parce qu’il permet à nos lecteurs de découvrir à travers ses yeux la situation haïtienne – pourquoi les Corses seraient-ils à cet égard différents des lecteurs de Singapour, de Canberra ou de Londres, qui cherchent eux aussi à s’informer sur des événements lointains ? Ensuite parce qu’il offre un singulier aperçu de l’oeuvre accomplie par les insulaires à l’autre bout du monde, dans des associations humanitaires, au plus près de la détresse. 

Comme Amandine, ils sont des dizaines à prêter leur intelligence et leurs bras à des « causes perdues », à apporter soutien et réconfort aux populations en danger. 

Bien loin des caricatures et des clichés qui font du Corse un sédentaire avant tout intéressé par ce qui se trame dans sa petite île, replié sur lui-même et sur les siens, ils viennent rappeler que les insulaires ont toujours été de grands voyageurs. 

Et si leur épopée s’est souvent écrite dans le bruit et la fureur de l’histoire coloniale, ils ont désormais choisi d’embrasser la cause de l’Humanitaire, sans doute la dernière grande bataille qui mérite d’être livrée. 

C’est la raison pour laquelle nous donnons la parole à Amandine.

13 octobre 2016
Départ pour le Sud du pays

pour évaluer les besoins

dans la région des Cayes

Au fur et à mesure que l'on se rapproche du Sud du pays, les paysages évoluent, on voit ici et là quelques arbres tombés, les lits des rivières déformés. Depuis fi n 2010, nous sommes allés dans le Sud six ou sept fois.

 « Nous » c’est en fait moi, et mon ami/assistant-programmes/chauffeur. Jean-Paul. (Pour l’anecdote c’est le premier Haïtien que j’ai rencontré, c’est lui qui est venu me chercher à l’aéroport un 8novembre 2010). 

Jean-Paul, c’est « moun Camp-Perrin », il est de Camp-Perrin (ndlr: «moun» en créole haïtien est un terme amical, affectueux). Grâce à lui, nous avons pu, avec différents collègues expatriés, découvrir sa région.

Camp-Perrin porte bien son nom, cette localité est très calme. Elle me rappelle nos villages, où le soir les gens se promènent, se rencontrent entre voisins.

 A ceci près qu’il n’y a pas d’électricité dans la majorité des maisons, la route principale n’est pas éclairée. 

C’est un endroit où plusieurs d’entre nous ont rêvé d’avoir une maison de campagne, au pied du Pic Macaya, et à une heure de route de Port-Salut, zone balnéaire très connue dans le pays. 

Je me souviens d'une blague haïtienne quand un ouragan s'approche d'Haïti, il se dit : "Mais je suis déjà passé par là !?!", et change de route.
Dommage que Matthew n'ait pas écouté

Mais aujourd’hui, tout est différent. Dès la sortie de la capitale Port-au-Prince, camionnettes et pick-up sont chargés de tôles et de planches. 

En se rapprochant du Sud, c’est le chaos et la désolation. Je comprends enfin ce que veut signifie: «On dirait qu’un ouragan est passé par là», ce sont des images de guerre. Tout est déformé, abîmé, détruit.

 On ne reconnaît plus les paysages. On voit des rivières qui n’étaient pas là avant, parce qu’elles étaient cachées par les arbres. Peu à peu, de plus en plus de maisons abîmées défi lent sous nos yeux. 

Du linge multicolore sèche toujours, accroché où on peut (sur les toits, sur les tombes devant les maisons, les arbustes, les débris). Nous arrivons aux abords de la ville de Cavaillon.

 La famille d’un de nos amis habite là. Plus on avance, plus nos coeurs se serrent, les larmes nous montent aux yeux, nous partageons ces sentiments. Je n’ai même plus envie de faire des photos.

Je suis juste triste pour Haïti, pour les gens qui déjà se battent tellement pour survivre. Le bilan encore provisoire, une semaine après la catastrophe, fait état de 546 morts.

Les ONG se sont coordonnées avec le gouvernement pour élaborer un premier point sur les besoins à court terme.

Ils sont partout, et concernent presque tous les départements du pays. Port-au-Prince a été plus épargné que le reste. A croire qu’il était prévu de détruire le pays, d’abord la capitale du pays en 2010 (plus de 200 000 morts, oui 200 000), et maintenant que tout est presque reconstruit, autant passer au reste.

D'Haïti à Alep

Et quand on dit que les besoins sont partout…. La majorité des gens ont tout perdu. On peut distribuer des sacs de riz, encore faut-il de l'eau, un récipient et du charbon pour le cuire. 

Plus de maison, plus de nourriture, plus d’eau potable, plus de vêtements, plus de quoi cuisiner, plus de quoi se laver…. 

Alors les ONG préparent, commandent, commencent à distribuer massivement les fameux FI et NFI (food et non food items – nourriture et produits non alimentaires), et notamment les « kits hygiènes », les « kits accouchements/maternité », les « kits cuisine ». 

Il est interdit de distribuer des tentes, on recommande de favoriser la réparation. Et pourtant, on manque déjà de bois, de tôles et les prix augmentent de jour en jour. 

Alors on fournit des bâches (bonne solution temporaire). Les centres de santé ont souffert ou sont anéantis, dans la Grande Anse, le département touché par l’oeil du cyclone, jusqu’à 90% des écoles sont détruites. 

Et là je me souviens de cette petite blague haïtienne: quand un ouragan s’approche d’Haïti, il se dit «Mais je suis déjà passé par là!?!», et change de route. 

Dommage que Matthew n’ait pas écouté. Et dans toute cette horreur, qui nous touche directement, je continue de penser aux images d’Alep, le chaos y est encore plus terrible. 

Comment l’être humain peut-il survivre dans de pareilles conditions? Nous devons trouver une solution, nous devons faire quelque chose. L’après-midi, nous rejoignons directement le Centre d’opérations d’urgence Département du Sud de la Protection Civile (DPC) et nous rencontrons les responsables.

 Je peux saluer les efforts des autorités pour tâcher de coordonner ce qui est impossible à coordonner… tellement il y a de besoins.

 Pour atteindre certaines zones sinistrées il faut compter plusieurs heures de route en voiture, puis à pied, à cheval… Une semaine après Matthew, certaines communes n’ont toujours pas pu communiquer leurs évaluations pour faire remonter les besoins urgents. 

Parfois, et comme c’est le cas avec Matthew, l’ampleur d’une catastrophe est telle qu’il faut agir pour sauver des vies, partout, dans tous les domaines, avec des routes bloquées, des zones inaccessibles, sans moyen de communication. 

Que fait-on? Est-ce qu’on attend dix jours pour se coordonner correctement ? Ou bien on y va et on largue de la nourriture et de l’eau potable par hélico partout où on peut ? C’est la première urgence, il faut accepter, et c’est également ce que je conclus avec les représentants du DPC. 

Ils sont épuisés et bien évidemment sous le choc aussi. C’est leur région qui a été dévastée. Ils doivent accepter qu’on ne peut pas tout coordonner dans la phase critique de réponse aux besoins fondamentaux. 

Et sans compter toutes les familles et entrepreneurs du pays qui d’eux-mêmes font des distributions là où on les sollicite. 

On ne peut pas coordonner parfaitement. Du côté de la Fondation Rapino, nous avons décidé d’agir avec nos propres fonds sur quelques cibles simples mais efficaces : kits familles/maternité et barres nutritionnelles (depuis les matériels d’hygiène aux nourritures spécialisées pour enfants, afin de répondre aux besoins des familles généralement nombreuses), système de filtration d’eau «lifestraw community», qui permet de traiter jusqu’à 100000litres d’eau avec un filtre, développé spécialement pour les zones ayant un accès restreint à l’eau potable (ndlr: Amandine est partie mardi 25 octobre avec un convoi des Nations Unies dans le Sud - voir encadré). 

Nous souhaitons équiper des centres de santé, abris d’urgence, écoles, etc. Pour la fabrication des barres nutritionnelles, nous avons privilégié l’utilisation de compléments naturels produits en Haïti, le moringa (ndlr: arbre tropical dont les feuilles ont de très importantes qualités nutritives), une façon de rester cohérents dans l’intervention. 

Soutenir l’économie du pays est essentiel. Les filtres à eau constituent une solution durable, et régulière, en lieu et place des fameuses tablettes d’aquatabs qui sont coûteuses et qu’il faut distribuer comme solution d’urgence… 

En Haïti de toute façon, il n’y a pas d’eau potable «gratuite», l’eau du robinet, quand on en a, n’est pas propre à la consommation. Au mieux, les maisons sont équipées de citernes qui recueillent l’eau de pluie et peuvent être remplies par
« camion ». 

Oui, ici, on livre des camions d’eau. Et si la maison est équipée d’un château d’eau, d’une pompe à eau et a accès à l’électricité nationale, (EDH- Electricité D’Haïti, ça rappelle quand même la France), alors oui il y a de l’eau au robinet. Sinon, on stocke comme on peut.

 Il faut bien souvent marcher longtemps pour en avoir, on en achète à des points d’eau s’il y en a, et pour boire, si on peut, on achète d’énormes bidons de 5 gallons d’eau déminéralisée - environ 18litres - (c’est moins de 3 dollars US pour le remplir soit 2,70 €).

Une fortune quand on vit avec moins de 2 dollars US (1,80 €) par jour comme c’est le cas pour 6,3 millions de personnes. Et ce sont des chiffres qui datent de 2013 ! Depuis, avec l’inflation galopante, la pauvreté n’a fait qu’augmenter. Les gens ne s’en sortaient déjà plus.

Nous avons déjà eu un «cyclone économique». Il n’y avait déjà plus aucune réserve, on ne pourra pas se relever.

Résilience

Direction Camp-Perrin… Enfin exactement, nous allons à Mersan, dans la commune de Camp Perrin.

Au milieu du chaos, des enfants jouent sur un tronc de palmier qui éventre une maison. La vie reprend. Les enfants sont incroyables de résilience, les Haïtiens sont tous des enfants. Mais quelle tristesse. 

Recommencer avec moins que zéro. Encore. Et quelle ironie en même temps. Et ce Sud, (constitués précisément du département du Sud où nous sommes / les Cayes, et du département de la Grande Anse, avec la ville de Jérémie notamment), a perdu la majorité de ses arbres, pire encore, ce sont eux qui ont fait le plus dégâts.

Cette catastrophe ne s’explique pas. Le choc est aussi fort qu’on s’y attendait, tout est dévasté, on voit peu de maisons qui semblent encore entières. Partout, encore, du linge coloré sèche.

Ici et là on s’affaire à couper, brûler les arbres et arbustes, à clouer planches et tôles. On passe devant l’hôtel le Recul, juste avant d’arriver à la maison de famille de mon ami. La toiture est quasiment partie…

On retient notre souffle, et en arrivant devant la maison, au milieu des scènes de destruction, la maison est absolument intacte, pas de trace d'un ouragan. 

Mme Vital, qui y habite est là, sous son porche, sur son rocking chair. Elle nous raconte que l’ouragan fut terrible. Quatre familles voisines ont dû venir se réfugier chez elle quelques jours.

 Il n’y a que deux chambres et un salon, cela n’a pas été facile. L’eau s’est infiltrée et la plupart de ses affaires ont été inondées. Mais la maison a tenu et elle a encore un toit. Notre périple se poursuit et nous rencontrons Jean-Ernesau Dauphin, chef de projet d’Education pour une autre ONG.

 Ils soutiennent un réseau de dizaines d’écoles. Ils ont dû stopper tous leurs projets de développement notamment l’accès à une éducation de qualité (projet ô combien essentiel dans ce pays), pour répondre à l’urgence de l’ouragan. 

Ils ont déjà distribué près de 800 kits alimentaires dans cinq écoles (d’ailleurs l’équipe revient d’une distribution alors qu’il nous parle). Les chiffres sont sans appel : 90 % des écoles sont détruites dans la Grande Anse.

 La Grande Anse, il y était, à Jérémie (une ville de 30 000 habitants balayée par l’ouragan). Lundi (ndlr, 3 octobre), il a commencé à pleuvoir, le temps avait changé. Ernesau s’est rendu au DPC (Département de la Protection Civile) pour voir les dispositions mises en place là-bas. Il était venu pour motif personnel mais est resté pour aider.

 Il ne connaissait personne à part le directeur. A ce moment, les deux hommes savaient que l’oeil du cyclone arriverait sur eux. Ernesau s’enquiert: «Et pour les personnes au bord du littoral?»

On lui répond que des messages ont été diffusés à la radio, par crieur avec un mégaphone. Pourtant les gens ne sont pas partis! «On ne peut pas les laisser là!» Ernesau convainc de faire une intervention d’envergure, il faut que les gens comprennent que le risque est sérieux! 

Ils partent à pied avec le directeur de la police équipés , le directeur du DPC et le commissaire ils font du porte à porte.

«On est prêt à arrêter les gens s’ils ne veulent pas partir»

Ernesau est convaincant avec les habitants. Il est là en tant que civil et citoyen, il n’appartient à aucun parti politique et ne travaille pas à Jérémie.

Il est sous la pluie, trempé. Il est là parce que le niveau de la mer va monter de 4 à 5 mètres au moins. Il est évident que de nombreuses vies ont été sauvées grâce à lui. Les policiers ont même transporté un vieillard qui voulait rester mourir là. Mais comment comprendre cette absence de préparation, pour ne pas dire cette insouciance?

Pourtant des messages radios ont été diffusés, même des SMS. Les autorités ont parlé à la population, l’ouragan Matthew a touché Haïti avec près de 24 heures de retard sur les premières estimations. 

J’aurai la réponse plus tard, à l’hôtel. On ne peut pas se reconstruire avec rien Après, Ernesau est allé aider dans les abris, il connaît parfaitement les mécanismes de protection à mettre en place car, dans de telles circonstances, les enfants et les femmes doivent être séparés, les enfants doivent manger en premier… et il faut faire des appuis psychosociaux.

Tout le monde a été tellement affecté. Pendant des heures, on craint pour sa vie, pour celle de ses enfants. Comment survit-on avec ses enfants, des bébés, sous un ouragan avec des vents à plus de 230 km/h sous une p l u i e battante ? Ernesau reconnaît être épuisé mais comme il le dit si bien «je suis fier parce que j’ai apporté ma contribution».

De retour à l’hôtel, après quelques rapports et dernières confi rmations de rendez-vous, Jean-Paul et moi faisons connaissance avec un Français et un Malgache, Cédric et Solo, tous deux ingénieurs civils. 

Ils nous racontent une nuit d’enfer, ils étaient à l’étage quand le toit a commencé à être emporté et ils ont pu s’abriter plus bas avec la plupart de leurs affaires. L’ouragan, ce déchaînement impitoyable a laissé des marques… Ils ont eu peur pour leur vie, et les gens dehors, cela a dû être pire que l’enfer.

Je leur pose la question, pourquoi avaient-ils été si peu - pour ne pas dire pas du tout - préparés? Cédric m’explique qu’ils ont un peu entendu à la radio mais personne n’y croyait vraiment. 

Les informations n’étaient pas clairement si dramatiques. Personne ne s’attendait à une telle ampleur. 

Il est vrai que les médias n’étaient pas «alarmistes», il n’y a pas eu de «panique» des autorités ou de la Minustah ou quoi que ce soit pour déplacer tout le monde… et le seul SMS reçu - il me le montre - indique seulement la montée des eaux sur les côtes. 

Et dire que nous, à Port au Prince, on avait sécurisé nos affaires, préparé un sac d’évacuation rapide et mis tous nos documents en sécurité dans du plastique… Et nous n’avons rien eu.

14 octobre
deuxième jour d'évaluation

Le lendemain, nous prenons des informations complémentaires auprès de la député au premier maire de Camp-Perrin, très dynamique. 

Avec elle, nous visitons le centre de santé et un abri d'urgence. Elle nous confirme que les autorités ont décidé de fermer et évacuer les abris d’urgence. 

Mais les gens n’ont nulle part où aller : «Lakay mwen kraze net», (leur maison est complètement détruite). Avant de repartir nous rencontrerons enfin la direction du département du ministère de la Santé publique et de la population qui nous confirmera les besoins des zones. 

On touche du doigt une partie du problème: les besoins sont immenses. Les gens n'ont plus de maison, plus d’affaire, plus de quoi se laver, plus de nourriture, pas de médicaments...

 La majorité des Haïtiens touchés en zones rurales ont perdu leurs revenus. On ne peut pas se reconstruire avec rien. Il faut agir. Maintenant, si on veut améliorer l’aide, il faut le faire de l’intérieur, et s’engager. 

Si on veut mettre fi n à l’aide, c’est tout un système qu’il faut changer, vivre simplement, pour que d’autres puissent simplement vivre. 

On peut aussi travailler à faire les trois: donner, travailler dans l’humanitaire et développer des projets pour construire un monde plus juste.

Amandine Stolfi
femme de conviction

Son carburant ? Deux tiers d'empathie, un tiers d’adrénaline. Depuis trois semaines, elle a tout loisir de se laisser consumer par cet instable mélange. 

Amandine Stolfi, trente-six ans, laisse s’échapper un débit torrentueux parfois coupé par les hurlements de sirènes, des cris, le tumulte de l’après-Matthew dans un Haïti dévasté.

Ce pays, elle l’a découvert en janvier 2010, lorsqu’elle est chargée de coordonner l’envoi et l’action d’équipes d’urgence alors qu’un séisme vient de le mettre à bas. En novembre suivant, elle fait ses bagages pour s’y installer et relancer l’économie en faveur des personnes en situation de handicap. 

Elle ne l’a jamais quitté depuis, à l’exception de courts séjours chez elle, à Ajaccio, où elle a fait ses études au lycée Fesch avant de prendre la direction de Nice pour des études de lettres et langues étrangères puis de Bruxelles pour un master de traduction en relations internationales. 

Polyglotte, elle parle l’anglais, l’italien, l’espagnol et se « débrouille désormais en créole ». C’est en Belgique que la jeune femme fait ses premières armes dans l’humanitaire, pour Handicap International Belgique, où elle coordonne notamment les « réponses d’urgence ».

C’est de la Belgique, aussi, qu’elle s’envole en janvier 2009 pour sa première mission : un mois dans l’est du Congo, en plein « contexte géopolitique assez tendu » - comprendre : en pleine zone de guerre civile, au coeur des ténèbres.

 Elle y découvre le vrai visage de l’effroi, rempile pourtant au nom « de l’empathie, pas de l’altruisme » et sept ans plus tard, après avoir oeuvré de juin 2013 à septembre dernier au sein de J/P HRO, l’association humanitaire de Sean Penn en Haïti, la voilà directrice pays de la Fondation Rapino (voir encadré). 

Entre deux communications coupées, la faute à un réseau rien moins qu’instable, et trois départs impromptus pour des zones touchées par Matthew, elle livre sa conception de l’humanitaire, « arriver, repartir, dormir peu, du 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 »

Aussi « simple » que ça. Pour éviter aux sinistrés de succomber au choléra mais aussi pour protéger les femmes des violeurs qui pullulent, escorter les convois d’aide sur des routes défoncées où sévissent des bandits de grand chemin poussés par la faim.

 On s’attendait à un discours lyrique sur le partage et le don de soi mais non, il s’agit d’abord d’agir. Et cela passe avant toute envolée.

« Il y a aussi cette partie essentielle du travail : la remontée d’informations, explique Amandine, qui permet aux organisations de défense des droits de l’Homme, une fois la situation apaisée, de travailler contre les profiteurs et les criminels de guerre et les traduire devant la justice »

On s’habitue à tout, même à l’enfer sur terre. Mieux que quiconque, Amandine le sait. 

« Je travaille malheureusement dans un secteur qui a beaucoup d’avenir. Syrie, Palestine : on embauche partout »

 Amandine et les siens peuvent ne pas dormir tranquilles : le diable n’a pas fi ni de danser sa sarabande sur la terre des hommes.

Jeudi 6 octobre
Au Nord de Port au Prince
dans les montagnes de Kenscoff

Première mission au sein de la Fondation Rapino. Même si les dégâts ne sont pas aussi importants que dans le Sud du pays et qu'il n’y a pas de victimes à déplorer, certaines communes des montagnes qui entourent Port-au-Prince ont besoin d’aide.

Leurs sources étant contaminées, le spectre du choléra peut ressurgir si l’accès à une eau potable n’est pas fournie. 

« Le jeudi après l’ouragan, je monte rencontrer une association de production agricole locale, l’Afè Nèg Konbit avec comme leader, le père Cicot.

Ils sont actifs dans toutes les sections communales de Kenscoff. La fondation les soutient déjà afin de faciliter l’accès à leurs paysans à des marchés plus rentables et assurant davantage de régularité de revenus.

Mais après Matthew, tout est dévasté: bétail, cultures, maisons tout est perdu. Sur place, je constate les dégâts: près de 55% à 70% de maisons endommagées suivant les zones. 

L’aide est demandée afin d’appuyer en priorité l’accès à l’eau potable, mais également médicaments, reconstruction etc. 

En plus de faciliter l’accès à des matériaux à prix plus abordables, et une contribution directe, nous les fournissons le lendemain en aquatabs. 

Nous souhaitons visiter le seul dispensaire de santé de leur réseau, il se trouve à Nouvelle-Tourraine. Ce qui n’avait pas été clair dans les premières discussions se précisequand je leur demande combien de temps devrons nous marcher…

«Deux heures en marchant vite», bon déjà ça veut dire 3 h au moins, même en marchant vite…. OK, pas le choix, nous irons en moto, à trois par moto bien sûr, il n’y a pas assez de motos et on fait toujours comme ça ici. 

Le chemin est à la limite du praticable, on se demande comment les motos font pour circuler, parfois nous devons rouler au bord du vide, et mon collègue n’est guère rassuré. Après 1h45 et une halte dans un hameau pour distribuer et sensibiliser (en l’absence de centre de santé, nous devons le faire nous-mêmes), nous arrivons enfin au dispensaire, qui a été fortement endommagé par l’ouragan, le peu qu’il y avait est inutilisable. 

Une infirmière vient le samedi, avec une petite trousse de soins. Il faut plus de 4h pour rejoindre un hôpital. Comme on dit souvent aussi: lavi a pa fasil. (La vie n’est pas facile).

 Des marchandes chargées de légumes passent sur des pentes tellement abruptes que nous devons descendre de moto et même à pied, ce n’est pas facile. 1h45 plus tard nous sommes de retour.

Sur le chemin, les deux leaders qui nous accompagnent nous invitent à boire un Coca, à température ambiante, et nous présentent leurs familles, c’est adorable.»

Mardi 25 octobre
une réponse immédiate
et efficace

Après ce récit qui a permis d'évaluer les besoins vitaux dans le Sud, Amandine Stolfi avec la Fondation Rapino est repartie dans le Sud mardi 25 octobre. Plusieurs camions, escortés par des contingents de la Minustah (les Casques bleus en Haïti) ont été chargés. 

Au total ce sont 300 kits femmes enceintes et enfants de moins de deux ans ; ainsi que 100 systèmes de fi ltration d’eau «lifestraw community» qui vont être distribués.

 Cette distribution va pouvoir équiper les communes du département de la Grande Anse (Camp- Perrin, Maniche et Duchity).