Après la guerre, la vie

Mohanad, réfugié politique Irakien

Pau, dans une petite rue passante. A côté des nombreux commerces qui baissent le rideau, un nouveau a fait son apparition il y a maintenant 6 mois : ZSC informatique, dépannage et réparation. Derrière la porte, Mohanad Al Lami et ses mains habiles tiennent la boutique de 20 m². Et le combat de toute une vie.

"Petit, déjà, je décortiquais le magnétoscope de mon père"

14H30, les premiers clients de l'après-midi passent la porte de ZSC informatique. Quelques protections de portables et des câbles USB jonchent les murs du magasin. Un bureau, deux ordinateurs et des outils : la décoration est simple, l'installation est fraîche. Mais ZSC informatique a sa particularité. Ici, les prix défient beaucoup la concurrence. La réparation des iPhone varie de 45 à 130 euros, c'est presque le double chez ceux d'à côté. « C'est parce que c'est ma passion. Petit, déjà, je décortiquais le magnétoscope de mon père. Et j'arrivais à le remonter ! », lance Mohanad. Cette entreprise, il l'a créée tout seul. De A à Z. Pendant des semaines, il a préparé tous les papiers nécessaires au projet. « Environ 250 seulement pour la mairie ! » Il a fallu traduire, comprendre le système à la française, les contraintes et les obligations. Réussir à s'installer à Pau ? Un véritable pari puisque la ville voit de plus en plus d'entreprises fermer leurs portes. 

Mohanad accueille aujourd'hui une douzaine de clients par semaine. « Pau n'est pas une ville à la dynamique informatique », lance Intisar, sa femme. « Et ça reste difficile parce que les gens préfèrent attendre que leur portable ou leur ordinateur soit complètement cassé pour le réparer », rajoute Mohanad. Heureusement, avant de s'installer ici, il était auto-entrepreneur dans le même domaine, et certains de ses clients sont restés fidèles.

Un client rentre.

Tout ce qu'il reçoit, Mohanad s'en occupe tout de suite. « Je n'aime pas laisser traîner. Quand on m'amène quelque chose, je le répare dans les heures qui suivent. ». 



Mohanad ne s'est pas improvisé réparateur informatique en arrivant à Pau. Ses clients peuvent avoir confiance, il est fort de nombreuses expériences en Irak et non des moindres. Un Bac+4 obtenu à Bagdad, du travail dans la réparation et la maintenance, mais surtout, deux ans enrichissants avec l'armée américaine en Irak. 

« Je me suis fait engagé sur une coïncidence. J'amenais des toiles sur la base et le militaire que j'ai rencontré m'a demandé ce que je faisais dans la vie. Je lui ai répondu que je cherchais du boulot, que j'avais certaines compétences dans l'informatique, et il m'a engagé ! Le lendemain, quand je suis arrivé j'étais tout content de dire que je savais formater un ordinateur. Bien sûr, ils ont rit. Pour eux, ce n'était rien ! J'ai donc appris pleins de choses. Ici, on s'occupait surtout de gérer le système informatique des voitures militaires, les Hummer. C'est impressionnant, ils ont 10 ans d'avance sur nous. Mais malheureusement, j'ai dû arrêter. Je les accompagnais souvent dans les zones de combat, je servais de traducteur. Un jour, j'ai vu quelque chose qui ne m'a pas plu. Ils s'en sont pris à des irakiens innocents, pauvres, qui n'avaient rien. Je n'ai pas plus réfléchit, je suis parti. »

Les ingrédients indispensables pour être un bon dépanneur informatique
La réparation et la compréhension

Plusieurs fois par jour, la langue irakienne reprend tout son sens à ZSC informatique. Parce qu'au-delà des réparations, ce sont ses oreilles que Mohanad offre à ceux qui passent le voir. A côté des clients, il y a les amis. Ils sont d'origine Irakienne, Syrienne, Palestinienne ; réfugiés politiques venus chercher la paix, comme lui. On se retrouve pour discuter de la vie à Pau, pas de la guerre. 

L'appareil photo posé sur le comptoir attire l'attention d'un jeune Irakien de 17 ans. Ca lui rappelle Bagdad. Il n'ose pas trop parler français, Mohanad le dit à sa place, « là-bas, il prenait beaucoup de photos ». Peu à peu, la confiance pointe le bout de son nez et la langue se délit. Il est arrivé il y a sept mois en France. Il ne sait pas où sont ses parents, ne sait pas s'ils sont vivants, « mais c'est la vie », lance-t-il avec un sourire qui en dit long sur son courage. Avec Mohanad, ils se rappellent quelques spécialités et restaurants d'Irak. Puis ils rigolent des différences culturelles. « En France, vous mangez beaucoup de pâtes et souvent sans rien dedans, ça fait bizarre ! », lance le jeune homme. « Si tu veux vivre en France, il faut aimer le café, c'est comme le Coca-cola aux Etats-Unis », rigole Mohanad, tasse de café à la main. Mais, derrière le sourire qu'affiche son visage, les autres souvenirs d'Irak refont surface. Lui, il l'a quitté il y a maintenant 7 ans. Et c'est Bagdad qui l'a amené jusqu'ici.

ATTENTION. Certaines photos ou propos qui vont suivre peuvent heurter la sensibilité des personnes les plus jeunes ou non averties. Si vous êtes dans ce cas, sautez ce chapitre.

"Tous les jours, une bombe explosait à 20 mètres de moi"

2008, Bagdad est en pleine guerre civile. « Tous les jours, une bombe explosait à 20 mètres de moi. » Que ce soit avec le régime de Saddam Hussein ou celui qui lui succède, répressions, violences et attentats, rythment la vie des Irakiens. Et surtout, celle des minorités chiites et chrétiennes, Mohanad le sait bien. « J'avais une grande villa à Bagdad avec ma famille. Plusieurs fois, elle a été brûlée par le régime. Mon oncle est mort dans un des incendies. »

L'art pour la liberté

Là-bas, à côté de l'informatique, Mohanad vit pleinement sa deuxième passion : la peinture. « On avait loué un appartement avec un ami, c'était notre atelier. On avait juste mis un canapé, apporté des bières et on peignait partout, il y avait des toiles partout. On n'avait besoin de rien d'autre. » C'est en quelque sorte son combat, un combat pacifique, le pinceau reste sa plus belle arme contre le régime. Jusqu'au jour où tout bascule.

Deux jours à l'hôpital, sa jambe est totalement cassée. Un morceau de métal, sûrement de la bombe, l'a même traversé. Plus d'amis, ses œuvres détruites, l'angoisse.


Mais Mohanad n'abandonnera pas. Qu'il ait une jambe en moins ou non. Que son combat pour la liberté d'expression ait fonctionné ou non. Il a une famille, c'est ce qui compte avant tout. Et surtout, lui, il est en vie. Avec sa femme Intisar, ils comprennent que la liberté ne viendra pas de si tôt à Bagdad. Ils ne veulent pas que leurs filles grandissent sous les bombes. «Il ne faut pas quitter son pays , avoue Intisar, mais on a été obligés de prendre cette décision, on voulait que nos filles grandissent libres."

Artiste reconnu, Mohanad avait peint, il y a quelques temps, une fresque sur l'ambassade de France en Irak. Sa chance. Le jour de l'attentat, l'ambassadeur se tenait tout prêt de l'exposition. Touché par le combat et le courage de Mohanad, il va l'aider à fuir l'Irak. Laissant derrière lui la guerre, mais aussi sa famille, ses souvenirs bons ou mauvais. Il va falloir tout reconstruire.


Se reconstuire à 5 207 Km

Tout ré-apprendre

A Paris, Mohanad, sa femme et ses deux filles sont pris en charge par l'Aftam (Association pour l'accueil et la formation des travailleurs migrants). Ils ont droit à une chambre et l'organisme se charge de toutes les démarches administratives. Ils ne parlent pas français, ne connaissent personne. En plus de ça, l'opération de la jambe de Mohanad à Bagdad n'a pas suffit : il faut l'opérer une nouvelle fois.        « Pendant des mois, je ne pouvais pas bouger. C'est ma femme qui s'occupait de tout, les enfants, les courses, elle a appris le français avant moi. Moi j'ai appris après la convalescence, avec des films surtout mais aussi en allant chez des amis. On s'entraînait ensemble. »

Un an plus tard, l'Aftam leur trouve un appartement à Pau. « Au début, c'était bien», se rappelle Mohanad. C'est au tour d'Isard Cos, qui accompagne socialement et juridiquement des demandeurs d'asile et des réfugiés, de prendre en charge toute la famille. Ils ont 150 heures de cours de français obligatoires puis, plus vite qu'ils ne le pensent, l'organisme a finit son boulot et ils se retrouvent livrés à eux-même. Dans un pays complètement opposé à leurs mœurs, à leur langue, à tout ce qui constitue leur vécu. Mais ils ont des droits maintenant, ils sont libres. Et ils ont donné naissance à une troisième fille.

Au travail

Une troisième opération vient ponctuer son arrivée à Pau. Encore près de 5 mois alité. Encore près de 5 mois à ne pas pouvoir s'intégrer. Et Mohanad d'insister,     « ma femme m'a vraiment beaucoup aidé. » 

Dès qu'il est de nouveau sur pied, Mohanad reprend le contrôle. Pendant deux ans, il trouve un petit boulot avec La Croix Rouge Insertion où il fait du démontage informatique. « J'ai beaucoup appris. Je ne connaissais pas le vocabulaire pour le métier. » Après, c'est le chômage pendant un mois, chose inenvisageable pour lui. Il devient auto-entrepreneur : premier grand saut en totale autonomie. En plus, il maîtrise un peu mieux le français maintenant.

En 2012, on lui propose une formation à Cric Pyrénées, un centre de rééducation professionnelle. Là-bas, il est là pour le français, encore une fois. « Son parcours était parasité par ses soucis. Il avait beaucoup de choses en tête qui l'empêchaient de se concentrer sur la formation », confie Geneviève, sa formatrice de l'époque. « Je perdais beaucoup de clients car la formation finissait à 17 heures, ce n'était pas possible. » Il finit par abandonner son activité d'auto-entrepreneur.

« Je me bats pour essayer de repeindre »

A côté du travail, il voit un psychologue. C'est en partie pour tenter d'oublier, surtout pour peindre de nouveau. Dès qu'il reprend un pinceau, ça lui rappelle les guerres, l'odeur d’attentat, de TNT et de tous ses amis qui sont morts dans cet accident. Alors, un psychologue peut-il vraiment aider à effacer un tel traumatisme ? Avec lui, il commence en tout cas à dessiner, au crayon, des visages. Mais la plus grande partie de sa motivation, il la puise ailleurs que sur le fauteuil d'un psychologue. « C'est surtout pour mes filles, car j'en ai une qui aime beaucoup dessiner. J'aimerai lui apprendre tout ce que je sais, un jour ». « J'aimerai beaucoup qu'il me peigne ce beau tableau d'un homme en train de prier. Toutes ses oeuvres sont restées chez sa mère, en Irak », rajoute Intisar.

Intégration réussie ?

Mohanad a créé son entreprise sans l'aide de personne, avec seulement 9 000€ de crédit, son tout premier. Petit à petit, il va retoucher des pinceaux. Sa jambe va beaucoup mieux, il est même devenu accro au sport. Et pourtant, il reste quelque chose ... 

La guerre en Irak, c'était à cause des religions. Saddam Hussein luttait contre tous ceux qui ne pensaient pas comme lui. A Pau, ils ont le sentiment d'avoir un peu retrouvé ça. « Il y a quelques jours, devant notre porte, on a reçu des pieds de cochons » raconte Intisar. Une attaque directe à leur religion. « Mes filles l'ont vu. Alors, parce que je porte le voile, je ne suis pas française ? Nous avons obtenu la nationalité, nous sommes français ! », continue-elle. « Moi, j'ai déposé une rose en réponse ». Un amer souvenir de Bagdad. Aujourd'hui, comme en Irak, ils luttent à leur manière contre le racisme. Intisar se bat tous les jours, Mohanad le fait autrement. Pour le moment, il attend une réponse pour une nouvelle formation d'informaticien, qui aura lieu en 2018. Il veut encore des diplômes même s'il n'a rien à prouver. « Mon formateur est venu dans mon magasin il m'a demandé ce que je faisais là et m'a dis que je n'avais pas besoin de cette formation mais je trouve ça quand même nécessaire », affirme-t-il, toujours modestement. Pour avoir un diplôme ici, et pour partir. « On aimerait aller à Toulouse, c'est plus facile dans une grande ville et la mentalité des toulousains n'est pas la même que celle des palois. » Et il voit même encore plus grand.


Développer son savoir-faire ailleurs, aller dans un pays où lui et sa famille seraient acceptés pour ce qu'ils veulent apporter et non le contraire, offrir le meilleur des avenirs à ses filles : voilà les objectifs que Mohanad s'est fixés. Mais le plus grand de ses rêves reste, sans aucun doute, de retrouver sa mère et ses amis qu'il n'a pas vus depuis près de 7 ans. De « revoir Bagdag », peut-être sans les bombes.