Les 7 grandes dates du palais de Poitiers

En 2019, le palais des comtes de Poitiers ne sera plus un palais de justice. Retour sur son passé en 7 dates.
(Par Elisabeth Royez)

1200, l'empreinte d'Aliénor

Le site le plus élevé de la ville accueille un palais depuis le Moyen Âge. Aliénor fait construire la grande salle en 1200.

Il s'appelle palais des comtes du Poitou et ducs d'Aquitaine, mais l'histoire du palais de Poitiers remonte à bien avant eux. A l'époque mérovingienne, vers les VIe et VIIe siècles, c'est déjà sur ce site, le point le plus élevé de Poitiers, que se trouvait le « mall berg », le tribunal. Selon les sources (divergentes, lire ci-après), le nom de la tour Maubergeon pourrait dériver de cet ancien nom germanique.

Un premier palais aurait été construit ici au IXe siècle, en partie sur la muraille romaine du IVe siècle (dont on trouve encore des vestiges dans le square Jeanne d'Arc), pour Louis le Pieux, fils de Charlemagne. Il ne reste aujourd'hui aucun vestige de ces périodes mérovingienne et carolingienne. Un incendie a détruit ce premier palais en 1018.

Sur une motte

Le lieu devient ensuite la résidence des comtes du Poitou. Après l'incendie, un nouveau palais est construit sur une motte de terre : on constate toujours aujourd'hui le dénivelé important entre les rues qui entourent le palais, dont le tracé correspond à celui des fossés, et la salle des pas perdus. 

Au siècle suivant, vers 1104, le comte Guillaume IX, dit le Troubadour, fait construire la première tour Maubergeon. Un nom qui, loin du mall berg, pourrait évoquer la maîtresse de Guillaume, Amauberge « la Dangereuse » de l'Isle-Bouchard, femme du vicomte de Châtellerault. Cette tour est en fait un donjon, symbole du siège du pouvoir féodal. Il en subsiste quelques traces au sein de la tour actuelle. 

Guillaume IX et Amauberge ont marié leurs enfants, union de laquelle naît Aliénor d'Aquitaine, vers 1122 ou 1124. Celle-ci grandit en partie au palais de Poitiers (tout comme plus tard son fils Richard Cœur de Lion). De 1192 à 1204 (date à laquelle meurt Aliénor à Poitiers), elle fait aménager la salle officielle du palais, aussi appelée du nom latin aula, aujourd'hui devenue salle des pas perdus du palais de justice. Cette salle d'apparat présente des dimensions impressionnantes : 50 mètres de long sur près de 17 mètres de large. Trois des murs datent de cette époque (est, nord et ouest) et sont représentatifs du style gothique Plantagenêt (comme la cathédrale) par leur décor : arcatures aveugles, chapiteaux, culots sculptés. Cette salle est l'un des plus remarquables exemples d'architecture civile médiévale en France.

1385, le très riche héritage du duc de Berry 

A la fin du XIVe siècle, Jean de Berry, frère du roi, fait transformer le mur sud du palais et la tour Maubergeon. 

Au cours du XIIIe siècle, après la construction des remparts (au niveau des boulevards actuels), le palais des comtes du Poitou et ducs d'Aquitaine perd sa fonction militaire, et les fossés qui l’entouraient commencent à être comblés. Ils sont aujourd’hui entièrement bâtis. On peut toutefois encore voir les vestiges (des piles et un morceau de rambarde) du pont qui menait à l’entrée du palais, dans un magasin au numéro 10 de la rue du Marché. 

Mais c’est Jean de Berry qui va donner au palais une grande partie de l’aspect qu’on lui connaît encore aujourd’hui. Frère du roi de France, le duc de Berry a reçu le Poitou en apanage (c’est-à-dire une partie du domaine royal accordée à un prince n’héritant pas du pouvoir), en 1356 mais, Guerre de Cent Ans oblige, n’en a pris possession qu’en 1372. Mécène et grand bâtisseur, le prince va notamment faire reconstruire le château triangulaire de Poitiers (à la confluence de la Boivre et du Clain) et fait bâtir la première horloge publique, le Gros Orloje, face à Notre-Dame-la-Grande. Au palais des comtes du Poitou et ducs d’Aquitaine, il confie de très importants travaux à l’architecte Guy de Dammartin. 

Trois cheminées et quatre statues 

A partir de 1385, il fait entièrement transformer la tour Maubergeon. Guy de Dammartin adopte un plan rectangulaire avec quatre tours d’angles. L’ancien donjon médiéval laisse la place à un petit palais plus résidentiel, où Jean de Berry s’installe. Le bâtiment (inachevé) s’élève sur trois étages voûtés d’ogives, éclairés de grandes fenêtres, et comportait 19 statues à son sommet : celles de Jean de Berry et de son épouse Jeanne de Boulogne, aujourd’hui disparues, les autres représentant probablement leurs vassaux. A l’intérieur, les salles ont gardé leur aspect de l’époque. 

Quelques années plus tard, le même architecte reprend le mur sud de la salle des pas perdus, en créant un nouveau mur pignon percé de larges baies, dans un style annonçant le gothique flamboyant. Guy de Dammartin y crée une imposante triple cheminée, dont les conduits passent à l’arrière des grandes fenêtres. Elles sont ornées d’anges tenant des armoiries et surmontées de quatre statues : le roi Charles VI le Fol, la reine Isabeau de Bavière, Jean de Berry et Jeanne de Boulogne (on peut mieux les voir grâce aux moulages désormais installées le long du mur est). La balustrade a été ajoutée au XIXe siècle. 

1429, la mission de Jeanne d'Arc 

En 1429, le Parlement siège au palais de Poitiers. Jeanne d’Arc y est interrogée et sa mission divine est attestée. 

Alors que la Guerre de Cent Ans oppose Anglais et Français depuis des décennies, le Poitou bénéficie d’une période de paix sous Jean de Berry, qui, à la fin du XIVe siècle, a rallié à lui les seigneurs locaux avec l’aide de Du Guesclin. C’est dans ce contexte que quelques années plus tard, le dauphin, fils de Charles VI dit « le Fou » et futur Charles VII, va se réfugier dans la région en 1418. Le jeune dauphin, par ailleurs devenu duc de Berry et comte de Poitiers, est en effet menacé par les Bourguignons, partisans des Anglais, qui viennent d’envahir Paris. Il va se déclarer « régent du royaume de France » et établir la Cour des comptes à Bourges et le Parlement à Poitiers, au palais. 

Entendue par les autorités ecclésiastiques 

En 1422, à la mort de son père, il se proclame roi, mais ne règne que sur le sud de la Loire. Les Anglais assiègent Orléans en 1428, comptant ensuite s’emparer de Bourges et de Charles VII. C’est à cette époque que Jeanne d’Arc va venir le rencontrer à Chinon, en février 1429. Or, avec le Parlement royal, les théologiens se sont aussi implantés à Poitiers. C’est donc là que la jeune fille va être envoyée. Car pour être reconnue légitimement chef des armées, il faut que la dimension divine de sa mission soit reconnue. Afin d’être entendue au palais, Jeanne d’Arc va loger à l’Hôtel de la Rose (aujourd’hui disparu, une plaque sur un immeuble de la rue de la Cathédrale rappelle son emplacement), hôtel particulier de Jean Rabateau, président du Parlement. Après cet examen de conscience, et la reconnaissance de sa virginité, Jeanne d’Arc est envoyée par Charles à Orléans où elle vaincra les Anglais en mai. Elle va ensuite accompagner le roi se faire sacrer à Reims en juillet.

Cinq cents ans plus tard, en 1929 (et après sa canonisation en 1920), sera installée la statue de Jeanne d’Arc dans le square près de la tour Maubergeon (d’abord au milieu du square puis à son emplacement actuel). Réalisée par Maxime Real del Sarte, cette statue représente une Jeanne d’Arc ailée, évoquant les Victoires antiques. Sur le piédestal, un bas-relief évoque la scène de son interrogatoire par les autorités ecclésiastiques. 

En novembre 1998, « Jeanne d’Arc » a fait son retour à Poitiers… mais il s’agissait du film de Luc Besson. Une scène a été tournée au palais, dans la salle des pas perdus. Mais la comédienne incarnant Jeanne, Milla Jovovitch, n’y participait pas, et la scène en question, qui ne dure que quelques secondes dans le film, a servi à illustrer le procès de Rouen. 

1821, les marches du palais

Au XIXe siècle, l'entrée monumentale est édifiée du côté de la place. Le palais est classé monument historique.

Après avoir été le siège du Parlement à l'époque de Charles VII (lire le précédent épisode sur Jeanne d’Arc), le palais reste un centre administratif sous l’Ancien Régime. Au fil des siècles, depuis Jean de Berry, il a peu à peu perdu le statut de résidence mais est toujours un lieu de pouvoir et de justice. Entre le XVe et le XVIIe siècles, Les Grands Jours de Poitou s’y tiennent plusieurs fois : cette juridiction exceptionnelle, déléguée par le roi, pouvait juger les affaires civiles et criminelles.

Classé monument historique

Après la Révolution, le palais devient le siège du tribunal de grande instance de la cour d’appel de Poitiers, ce qu’il est toujours aujourd’hui… jusqu’au déménagement prévu vers la cité judiciaire l’an prochain. A cette époque, l’entrée se faisait toujours via l’Échelle du palais, côté rue du Marché. Mais cet accès est jugé insuffisant. Sous la Restauration, il est décidé de construire une entrée monumentale, du côté ouest (place Saint-Didier, actuelle place Alphonse-Lepetit). Les travaux sont confiés à l’architecte poitevin Vétault : il crée un escalier immense et une majestueuse façade d’inspiration antique, avec quatre colonnes soutenant un fronton, construits en 1821. Plus tard furent gravées sur ce fronton la Charte de 1830 (charte constitutionnelle qui fonda la monarchie de Juillet) et les armoiries de Louis-Philippe, roi.

Une aile supplémentaire, perpendiculaire à la salle des pas perdus, est également ajoutée. C’est aussi au XIXe siècle qu’est détruite une partie du palais datant de l’époque de Jean de Berry : des appartements, à l’est, qui ont ainsi laissé place aux locaux de la cour d’appel et du greffe. Et c’est également le siècle où le palais de Poitiers est classé monument historique, en 1862.

1952, le procès de Marie Besnard

Arrêtée à Loudun pour douze empoisonnements, Marie Besnard comparaît au palais de justice en février 1952.

C'est sûrement le procès qui, dans l’histoire contemporaine, est le plus systématiquement associé au palais de justice de Poitiers. Celui de Marie Besnard, en février 1952, où elle fut accusée de l’empoisonnement de douze personnes, la plupart membres de sa famille, à Loudun. L’affaire avait commencé en 1949, quand la rumeur a enflé sur les héritages dont elle bénéficiait après ces morts (survenues entre 1938 et 1949) et qu’une voisine a affirmé que Léon Besnard, l’époux de Marie, lui avait confié avoir été empoisonné sur son lit de mort. 

80 journalistes du monde entier 

Arrêtée le 21 juillet 1949, Marie Besnard, est restée enfermée plusieurs années à la prison de la Pierre-Levée à Poitiers. Le procès de « l’empoisonneuse de Loudun » débute devant la cour d’assises de Poitiers en 1952. Les photos de l’époque la montrent arrivant à pied depuis la prison, puis dans la salle d’audience (dans l’aile perpendiculaire à la salle des pas perdus). 

Roland Barrat, journaliste au Libre Poitou (ancêtre de Centre Presse), aujourd’hui décédé, racontait il y a quelques années ses souvenirs, lui qui a suivi l’affaire pendant douze ans : « Tout le monde était persuadé de sa culpabilité jusqu’à ce premier procès. Dès les premiers jours, les journalistes de la presse judiciaire française étaient là, et ils ont été suivis de près par les journaux du monde entier. J’en ai vu défiler des confrères anglais, brésiliens, américains… Il y avait 80 journalistes présents au premier procès ! Je me rappelle que le premier soir, il y avait un tas d’un mètre de haut d’ampoules dans la salle d’audience du tribunal de Poitiers : c’étaient les ampoules des flashes, car les photographes étaient autorisés à l’époque. »

Le tournant de ce procès a été le moment où l’un des avocats de Marie Besnard, Me Gautrat, a ridiculisé le Pr Béroud, expert qui avait trouvé de l’arsenic dans les corps, en le piégeant avec des éprouvettes : l’avocat lui a demandé de reconnaître dans quels tubes il y avait de l’arsenic, et lorsque l’expert en a désigné, Me Gautrat s’est exclamé : « Aucun n’en contient ! » Sylviane Rohaut, qui fut la secrétaire de Me Hayot, un autre avocat, racontait également : « La cour d’assises de la Vienne a suspendu le procès et ordonné de nouvelles expertises. Il y eu de nouvelles exhumations. Pendant tout ce temps, l’histoire faisait de plus de plus de fatras à Poitiers. A Loudun tout n’était que ragots et rumeurs. Il a été décidé de tenir le deuxième procès à Bordeaux. » Celui-ci aura lieu en mars 1954, et tournera autour d’une bataille entre scientifiques. Un nouveau report est décidé. 

Après cinq ans en prison, Marie Besnard est cette fois remise en liberté provisoire. Elle comparaît une dernière fois devant la cour d’assises à Bordeaux en 1961où elle est déclarée non coupable. Elle reviendra finir sa vie à Loudun jusqu’à son décès en 1980.

1988, l'affaire du CHU

Après le décès d'une patiente, trois médecins du CHU sont jugés. L’audience se déroule dans la salle des pas perdus.

Après le procès de Marie Besnard en 1952 (lire l'épisode de la semaine dernière), celui de « l’affaire du CHU » va de nouveau marquer la mémoire des Poitevins et l’histoire du palais de justice. Le procès a lieu en février-mars 1988, quatre ans après les faits. Le 30 octobre 1984, une femme de 33 ans décède à l’hôpital, après une intervention chirurgicale. Quelques jours plus tard, le chef du service d’anesthésie-réanimation, le Pr Pierre Mériel, accuse publiquement deux jeunes collaborateurs, les Drs Bakari Diallo et Denis Archambeau, d’avoir volontairement inversé les tuyaux du respirateur (oxygène et protoxyde d’azote). Les deux médecins auraient agi par vengeance, pour faire retomber la faute sur le Pr Mériel, assassinant ainsi la patiente. Finalement, tous les trois sont renvoyés devant les assises.

Le respirateur aux assises

Philippe Bruyère, journaliste à Centre Presse, a suivi les quatre années de procédure et couvert l'audience. « De tous les procès d’assises auxquels j’ai assisté, c’est celui qui m’a le plus marqué, à la fois par son importance et sa longueur, témoigne-t-il. L’affaire durait depuis 1984, et le procès a duré trois semaines. La salle des pas perdus était transformée avec tout le décorum de la cour d’assises. Au fond, devant les cheminées, il y avait la cour avec les trois magistrats et les jurés, et une estrade avait été installée dans le prolongement. Le respirateur, avec les fameux tuyaux, y avait été installé. Le box des accusés était sur la droite et les parties civiles à gauche, les gens qui venaient témoigner devaient monter quelques marches, cela avait un côté théâtral. »


" Les gens faisaient la queue pour entrer "

Devant la couverture médiatique très importante à l'époque, la cour de Poitiers avait d’emblée décidé d’utiliser la salle des pas perdus, au lieu de la salle habituelle des assises. « 300 journalistes sont venus assister au procès, se souvient le chroniqueur judiciaire. Ils occupaient toutes les places de devant. J’étais assis à côté d’Américains, il y avait tous les correspondants en France des grands titres des États-Unis. Il y avait aussi beaucoup d’Anglais, de Suédois, d’Allemands. Cela intéressait tout le monde car cela impliquait des médecins. La place devant le palais était remplie des camions de retransmission des télés et radios. » Cette mobilisation médiatique laissait peu de place dans la salle pour le public : « Les gens faisaient la queue à l’extérieur, dès le matin, ils attendaient des heures, il y avait une sorte de rotation pour accéder à la salle d’assises. Ils voulaient voir les trois médecins. » Finalement, au soir du 3 mars, ils sont acquittés. « Ce soir-là, ceux qui soutenaient les Drs Diallo et Archambeau ont envahi la salle pour attendre leur sortie, mais je crois qu’ils sont finalement sortis par derrière pour que la levée des écrous puisse se faire à la prison. »

Depuis ce procès, une autre audience s’est déroulée dans la salle des pas perdus : celle de l’appel du procès Xynthia, fin 2015, très médiatisé lui aussi.

2003, le dîner franco-allemand avec Schröder et Raffarin

Le dîner du sommet franco-allemand se déroule dans la salle des pas perdus… dont les toilettes sont refaites.

Quinze ans après, le souvenir du sommet franco-allemand qui s'est tenu à Poitiers les 27 et 28 octobre 2003 est toujours présent. Pas forcément dans les mémoires des habitants, encore qu’ils se rappellent sûrement le centre-ville totalement bouclé pour des raisons de sécurité. Non, pour voir l’empreinte laissée par ce sommet dans l’histoire du palais, c’est aux toilettes qu’il faut se rendre, au bout de la salle des pas perdus.

Lumière bleue

Avant cette date, il est vrai que les WC avaient quelque chose d'ancestral. Alors, pour la venue de Gerhard Schröder, chancelier allemand, et Jean-Pierre Raffarin, Premier Ministre, plusieurs milliers d’euros ont été investis par l’État, pour installer de nouvelles cloisons, de nouvelles cuvettes haut de gamme et des lavabos dont les robinets se mettent à couler dès qu’on passe la main dessous, le tout dans une lumière tamisée bleutée un peu surprenante. A l’époque, outre le budget (38.000 en tout) pour l’amélioration des conditions d’accueil, des syndicats de magistrats avaient aussi élevé la voix contre l’utilisation du palais de justice pour l’événement.Le procureur général avait alors répondu : « La salle des pas perdus a de nombreuses fois été mise à disposition dans le cadre de manifestations ayant notamment une dimension culturelle ou internationale. Il est apparu naturel d’accueillir au sein de cet édifice un événement hautement symbolique, qui s’inscrit dans le cadre de la commémoration du 40e anniversaire du traité de l’Élysée. »

L'événement en question n’était pas le sommet en lui-même (qui s’est déroulé à la Maison de la Région et a été consacré à la première conférence des présidents de Länder allemands et de régions françaises), mais le dîner de gala qui l’a précédé, la veille au soir. Offert par Matignon, ce dîner républicain avait réuni 250 convives français et allemands. Depuis, la salle des pas perdus a plusieurs fois accueilli des manifestations publiques (concerts, expositions…) mais avec une portée beaucoup plus locale.