Hôtel de luxe à Rodez : le projet verra-t-il le jour ?

Notre enquête sur le projet de Mathias Echène au Palais Épiscopal

Alors que le palais épiscopal de Rodez continue d'attirer des flots de visiteurs venant découvrir les diverses expositions présentées en ces lieux chargés d’histoire(s), l’avenir de l’ancien Évêché reste toujours incertain. Et soulève de nombreuses interrogations auxquelles il est parfois difficile de répondre. Tout du moins avec certitude.

Depuis plusieurs mois, Mathias Echène, un investisseur potentiel d'origine aveyronnaise, s’est positionné sur un projet hôtelier de grand luxe. Pour mémoire, ce projet qui, depuis le début, fait couler beaucoup d’encre, prévoit un investissement de l’ordre de 5 millions d’euros, pour une trentaine de chambres dont quatre suites de niveau 5 étoiles, un restaurant gastronomique associé au chef étoilé ruthénois Jean-Luc Fau, ainsi qu’une brasserie de 120 couverts, avec une terrasse sur les actuels remparts, un espace d’arts religieux, un spa ainsi qu’une piscine couverte. Bref, un équipement de très haut standing. 

Le bail n’est toujours pas signé

Quelques mois après la présentation officielle du projet, en février 2016, la promesse de bail a donc été signée par l’homme d’affaires et le président du Conseil départemental, Jean-Claude Luche, le 2 décembre 2016. Ce jour-là, le patron du Département, à qui appartient le palais épiscopal, a remis les clés de l’Évêché à Mathias Echène. Depuis, l’ancien palais épiscopal s’est ouvert au public en accueillant plusieurs expositions, mais les travaux n’ont toujours pas réellement commencé et le « bail à construction », d’une durée de 50 ans pour un loyer annuel de 25 000 € (une somme jugée insuffisante par plusieurs élus départementaux), n’a toujours pas été signé. Alors que le calendrier prévoyait une signature en mai ou juin 2017, une fois tous les possibles recours épuisés. De quoi amplifier un peu plus les interrogations des Ruthénois et, plus largement, des Aveyronnais, sur la pertinence du projet. 

Cela d’autant plus qu’en juin dernier, Mathias Echène affirmait n’avoir réuni que 3,5 millions d’euros avec une quinzaine de personnes de son proche entourage...

Fiché par Interpol et condamné à 6 mois de prison
avec sursis pour des menaces de mort 

Le 5 mars 2016, Centre Presse dévoilait une information qui devait faire grand bruit. Mathias Echène et son ex-épouse Gaëlle sont fichés en rouge par Interpol dans la liste des « wanted persons » pour être recherchés par les autorités judiciaires de Hong-Kong. « Cette situation résulte du fait que j’ai simplement décidé, à un moment donné, de rompre toute relation d’affaires avec des interlocuteurs dont je ne partageais plus les valeurs », se défendait alors Mathias Echène, évoquant une justice hongkongaise « instrumentalisée » à ses dépens. 

« La justice française n’a rien à me reprocher, je lui fais confiance et mon casier judiciaire est vierge. » Fin novembre, répondant à une nouvelle interview et à une question sur ce fichage Interpol, Mathias Echène nous déclarait : « Cette affaire relève de la sphère privée. Mais ce fichage ne porte pas à conséquence. Je suis libre de voyager, de me déplacer. » De nouveau interrogé sur ce chapitre indonésien, pour le moins chaotique, l’ancien trader devenu promoteur expliquait, le 2 juin dernier : « En Indonésie, pour mener à bien ce genre de projets, il y a des paiements à effectuer... En France, on appellerait cela des dessous-de-table... En 2012, j’ai vendu les parts de ma société. Tous les gens qui m’en veulent ont gagné beaucoup d’argent grâce à moi...»

Entre-temps, le promoteur s’est retrouvé, le 11 janvier 2017, à la barre du tribunal de grande instance de Paris. Ce dernier l’a condamné à six mois de prison avec sursis pour des faits de menace de mort (sur cinq personnes, Françoise Huerta, Brigitte Cukierman, Febronie Craipeau, Ariane Geoffroy-Dechaume, Mira Rey), commis entre le 24 mars et le 4 avril 2015, à Paris, Genève, Hong-Kong, Singapour, Londres, avec ordre de remplir une condition (ne pas se rendre à Bali). Ces menaces étaient adressées dans un courrier contenant une munition de catégorie B. « Ces gens-là s’en sont pris à ma famille et, dans un moment de colère, j’ai fait aussi quelque chose de nul : des menaces, reconnaissait en juin dernier Mathias Echène. Je le regrette terriblement. J’ai donc été condamné et j’ai décidé de ne pas faire appel, pour en finir avec cette histoire. Je reconnais mes torts et j’assume les conséquences de ce geste regrettable. » 

Contacté, et alors même qu’une rumeur insistante faisait état d’une possible assignation à résidence en Asie, voire une incarcération, Mathias Echène a accepté de répondre à nos questions. L’occasion pour lui de préciser que l’investissement envisagé s’élève aujourd’hui à 7 millions d’euros et que le financement est bouclé... Une fois le permis de construire accordé, le président du conseil départemental est-il prêt à signer le contrat de bail ? « A ce stade, je ne peux pas aller plus loin dans mon intention », nous a déclaré, hier matin, Jean-François Galliard. On peut comprendre que tous les doutes ne sont pas levés...

Mathias Echène : "Le budget est bouclé pour une ouverture en 2019

Après nous avoir précisé qu'il se trouve actuellement à Bali, en Indonésie, où il possède une maison, c’est par des échanges de mails que Mathias échène a répondu à nos questions. 

Où en est aujourd’hui le projet d’hôtel à l’évêché. Avez-vous déjà signé le bail définitif avec le conseil départemental ? Si oui, pour quelle durée ? 

Nous avons signé en novembre dernier une promesse de bail à construction de 50 ans. Cette promesse sera réitérée, c’est-à-dire transformée de droit en bail à proprement parler, une fois que le permis de construire aura été obtenu. Ce permis est en cours de délivrance. La Drac (Direction générale des affaires culturelles, NDLR) a déjà donné son accord. Le service instructeur a même attribué un numéro. Il ne manque que la signature du maire de Rodez, Christian Teyssèdre.

Vous avez chiffré la réalisation de ce projet à 5 millions d’euros. Disposez-vous déjà de cette somme ? Pensez-vous que cela sera suffisant ? Sinon, comment allez-vous attirer d’éventuels investisseurs ? 

L’investissement, qui était de 5 millions d’euros à l’origine, a été revu à la hausse. Il est désormais de 7 millions d’euros. Cette augmentation nous permettra d’optimiser certains équipements. Pour cela, nous avons mandaté un bureau d’études aveyronnais, spécialisé dans l’optimisation énergétique. L’idée est d’investir davantage pour diminuer, à terme, la facture énergétique. Il nous a donc été recommandé, entre autres, d’installer un système de chauffage par pompes à chaleur avec des sondes géothermiques dans le sol. Par ailleurs, je précise que ce budget est complètement bouclé. Cependant, dans un but de partage, j’ai suggéré, début juin, que nous puissions ouvrir le capital de la holding. Et cela, en favorisant les Aveyronnais, dans un strict cadre légal, afin de permettre à ceux qui le souhaitent de prendre part à cette aventure passionnante.

Vous avez évoqué une ouverture des lieux pour l’été 2019. Est-ce toujours d’actualité ? 

Notre calendrier a toujours été défini avec un début des travaux à l’automne 2017, une fois le permis de construire obtenu et purgé de tout recours de tiers. Enfin, pour ce qui est de l’ouverture des lieux, nous maintenons notre objectif à l’été 2019. 

"Je n'ai aucune raison d'être extradé"

Les partenariats avec Catherine Painvin pour la décoration des chambres et Jean-Luc Fau, pour la partie gastronomique, sont-ils toujours d’actualité (lire par ailleurs) ? 

La partie décoration sera confiée à un groupe de plusieurs professionnels de renommée internationale, dont les noms seront dévoilés au printemps 2018. Quant à Jean-Luc Fau, nous sommes toujours en discussions avec lui. Bien sûr, nous espérions aller plus vite. Car nous sommes plus que jamais convaincus de la richesse de cette alliance. 

Des travaux ont déjà été entrepris dans certains bâtiments du palais. En aviez-vous l’autorisation ? 

Nous avons procédé, en janvier et février derniers, à une phase de nettoyage et de mise à nue complète de certaines parties intérieures du lieu. Celles, bien entendu, non protégées par une inscription aux Monuments historiques. Photos et audits préalables à l’appui, il est incontestable que ces pièces étaient dans un état de vétusté avancé. D’autres, je pense en particulier à la tour d’Estaing, étaient encombrées de gravats, que nous avons fait débarrasser. Enfin, dans ce qui était auparavant la salle à manger du personnel et qui, à terme, accueillera la cuisine du futur restaurant gastronomique, nous avons pris l’initiative de démonter des cloisons. Elles ne sont pas classées, mais je les conserve pour une éventuelle réutilisation. 

Des expositions se tiennent actuellement sur place et drainent un important public. Qu’en est-il des normes, notamment en termes d’accessibilité et de sécurité ? 

La commission de sécurité, réunie le 27 juin dernier, nous a autorisés à ouvrir temporairement sous forme d’établissement recevant du public (ERP) de la catégorie 5. Et ce, jusqu’au 30 octobre. Un arrêté municipal en date du 3 juillet confirme tout cela (une copie a été jointe à la réponse). 

Toutefois, certaines réponses (normes de sécurité...) demanderaient que je vous fournisse des documents officiels. À Rodez, nombreux sont ceux qui doutent désormais de la pérennité de ce projet. Que leur répondez-vous ?

Il arrive souvent que des projets novateurs soient controversés. Près de chez nous, lorsque Michel Bras s’est installé au Suquet, il a subi les foudres des hôteliers et restaurateurs voisins. Vingt ans plus tard, on n’en parle plus. Cet été, avec nos expositions temporaires, nous avons accueilli plus de 6 000 visiteurs. Aussi, s’il y a bien consensus, c’est la complexité du projet. Alors, pour reprendre Fernand Pouillon, un des plus grands architectes français du XXe siècle : la difficulté est un des plus sûrs éléments de la beauté. 

"Je serai à Rodez le 7 septembre"

Où êtes-vous actuellement ? Est-il vrai que vous avez été extradé de Bali vers Singapour ou Hong Kong pour y être jugé ? 

Je suis actuellement à Bali, où je possède une maison. Il n’y a aucune raison pour que je sois extradé à Singapour pas plus qu’à Hong Kong. 

Le 11 janvier, le tribunal de grande instance (TGI) de Paris vous a condamné à 6 mois de prison avec sursis et plusieurs milliers d’euros de dédommagements à verser aux victimes, pour des menaces de mort. Où en êtes-vous avec la justice ? 

Le TGI de Paris, en date du 12 juin 2017, m’a donné raison en condamnant mes adversaires de Hong Kong à 40 000 euros de dommages et intérêts. Par ailleurs, je n’ai jamais passé sous silence ma condamnation du mois de janvier que vous évoquez dans la question. D’ailleurs, en mai dernier, l’un de vos confrères m’a consacré une interview, dans laquelle j’aborde tout cela en détail. 

Quand comptez-vous rentrer en France ? 

Je serai présent à Rodez le 7 septembre et heureux de vous y rencontrer si vous le souhaitez.

JEAN-François Galliard :
"C'est un dossier que je suis de manière très attentive"

Propriétaire du palais épiscopal, le conseil départemental a signé avec le porteur de projet, voilà quelques mois déjà, une promesse de bail. Laquelle a la vertu d'aboutir à la signature du bail proprement dit, si toutes les conditions sont réunies, à commencer par le permis de construire que doit délivrer le maire de Rodez. « À partir de ce moment, le bail peut être signé après épuisement d’un délai de deux mois pour purger les recours possibles », commente sobrement Jean-François Galliard, président du Département. De recours en tribunal administratif, il pourrait y en avoir de la part du porteur de projet si le permis n’est pas signé... Ou si le porteur de projet s’avérait défaillant... 

Dans ce dossier, le président Galliard ne se départit pas d’une certaine distance : 
« Ce n’est pas avec Mathias Echène que la promesse a été signée mais avec l’une de ses sociétés... Et puis, personnellement, je ne suis jamais allé au palais épiscopal...» Et d’ajouter, sybillin : « De toute façon, c’est un dossier que je suis de manière très attentive ». Autrement dit, avec beaucoup de prudence. « Je suis gouverné par le sens de l’intérêt général, reprend Jean-François Galliard. Mon attention, c’est vrai, est d’autant plus grande en regard de l’environnement qui entoure ce dossier ». Un environnement dans lequel les engagements, voire la personnalité même, de Mathias Echène, ne sont peut-être pas étrangers.

Jean-Luc Fau :
"C'est devenu un projet parmi d'autres"

Le chef étoilé de Goûts et couleurs, Jean-Luc Fau, est-il toujours associé au projet du palais épiscopal ? Nous lui avons posé la question : « J’ai vu Mathias Echène, fin juillet, il m’a dit qu’il partait en vacances à Bali. Je devais le revoir dix jours plus tard. J’attends, nous a expliqué le chef ruthénois. C’est devenu un projet parmi d’autres. Nous sommes prêts au cas où mais on est aussi prêts à faire autre chose. On n’est pas dehors, mais on n’est pas dedans non plus ! Si les conditions sont réunies, j’irai. Cela reste une possibilité, à condition que le projet soit bétonné juridiquement ainsi qu’au niveau des aménagements. Je le répète, c’est devenu une option parmi d’autres, mais nous avons aussi d’autres projets, sachant que la priorité reste mon restaurant et mes clients... Aujourd’hui, les choses ne me paraissent pas très bien engagées. »

Christian Teyssèdre : 
"Le permis de construire sera signé rapidement"

Alors qu'en temps normal il faut 6 à 8 semaines pour instruire un permis de construire, celui relatif au projet d’hôtel porté par "Groupe E", la holding de Mathias Echène, a nécessité plusieurs mois d’instruction. Il faut dire que les lieux - un palais épiscopal du XVIIe siècle de 6 000 m2 inscrit à l’inventaire des monuments historiques - méritent beaucoup d’attention. Les services de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) se sont penchés sur le sujet aux côtés des techniciens de la Ville. 

« La Drac nous a remis le permis le 20 juillet, précise le maire de Rodez, Christian Teyssèdre. À partir de cette date, nous disposons de 3 mois de délai pour délivrer ou non le permis de construire. » Le document contiendrait de nombreuses préconisations relatives à la préservation de ce bâtiment classé. Ces directives devront impérativement être suivies par le porteur de projet. Ce qui ne devrait pas lui faciliter la tâche. Pour autant, Christian Teyssèdre précise qu’il va signer l’acte tant attendu par Mathias Echène « dans les tout prochains jours. »

Catherine Painvin : "Ce n'est pas moi qui suis allée le chercher !"

En février dernier, Mathias Echène posait fièrement avec Catherine Painvin, la décoratrice, fondatrice de la marque pour enfants Tartine et Chocolat et créatrice, entre autres, du Comptoir d'Aubrac, qu’il présentait alors comme sa directrice artistique. Depuis, la réalité n’est plus, semble-t-il, tout à fait la même. 

Êtes-vous toujours la collaboratrice artistique de Mathias Echène ? 

Depuis décembre 2016, j’avais un contrat de directrice artistique exclusive de 6 mois renouvelable. En février, j’ai accepté un arrêt d’un mois. On devait se revoir avec Mathias mais, depuis, je n’ai pas de nouvelles, dans un sens ni dans l’autre. Je suis dans l’attente. J’ai fait un énorme travail en amont. Dans mon cerveau, j’ai de quoi faire 25 chambres. 

Mathias Echène a récemment déclaré à l’un de nos confrères que vous étiez principalement douée pour l’éphémère. Est-ce à dire que vous ne faites plus partie du projet ? 

Je ne suis pas au courant, j’ai toujours mes dossiers, mes affaires au palais épiscopal. J’avoue que j’étais un peu traumatisée que ce soit aussi long. Je ne comprends pas. Mes rapports sont très bons avec lui. Il m’appelle « ma petite Catherine ». Ce n’est pas moi qui suis allée le chercher. C’est lui qui est venu me chercher. Je n’ai rien demandé. Le monde entier est venu chez moi, sur l’Aubrac. D’Isabelle Adjani à Johnny Depp et j’en ai été récompensée. Je suis douée pour l’éphémère mais aussi dans la durée. Je pars du principe que les choses qui doivent se faire se font et je ne veux pas faire n’importe quoi. J’ai réalisé la décoration de l’hôtel du Fort de l’Océan, au Croisic (Loire-Atlantique), il y a de cela 20 ans, et j’y suis reçue comme une reine. Je ne sais pas pour qui sera l’éphémère...

TEXTES : Joël Born, Rachid Benarab. 
PHOTOS : José Antonio Torres, Joël Born.