Cantieri Meticci : comédiens sans frontières  

De l'exil à la scène. Depuis 2013, l'association culturelle Cantieri Meticci propose aux migrants de monter sur ses planches bolonaises. Un laboratoire théâtral qui fait le pari de l'intégration par la culture.

Quartier Corticella. Banlieue nord. Il faut pousser les portes d'un supermarché pour tomber sur le QG de Cantieri Meticci. Faute de clients, une partie de la surface a été revendue par l'enseigne de grande distribution. C'est là que le metteur en scène et dramaturge Pietro Floridia a établi les quartiers de son association. Exit les néons et le carrelage cliniques, le staff a totalement repensé ce lieu. Aménagés de bric et de broc mais tout confort, ces locaux - baptisés Met BO - abritent un impressionnant espace entièrement modulable, idéal pour multiplier les configurations scéniques. Autour d'une table, des rires s'élèvent. On sort une guitare, on chante. On est loin du silence qui règne dehors."C'est un quartier où il ne se passe rien. On essaie d'y remédier en répétant nos pièces jusque dans le hall du supermarché, confie Karen, responsable événementiel. Nos premières fans sont souvent les caissières."

La compagnie a beau être active à l'échelle du quartier, elle reste beaucoup plus impliquée auprès des centres d'accueil de la ville. "Ce n'est pas facile d'amener de jeunes migrants à nous rejoindre, raconte Karen. On doit aller jusque dans les centres d'accueil, jouer des bouts de spectacle. On met souvent un beau bazar." Après cinq ans d'existence, ces tournées de prospection ont porté leurs fruits. Etudiants, artistes, réfugiés politiques, demandeurs d'asile: l'initiative de Pietro Floridia rassemble aujourd'hui plus de 150 participants. Via une dizaine d'ateliers hebdomadaires éparpillés aux quatre coins de Bologne, Cantieri Meticci encourage le métissage social. "Rien ne se fait à sens unique. L'idée c'est d'apprendre mutuellement les uns des autres."

"On calque nos ateliers théâtre sur leurs attentes. 
On ne leur impose rien."

Costumes, décors, ateliers stop motion et autres trouvailles sonores: toute la chaîne de production théâtrale est assurée au sein du Met BO. La confection de tous les éléments scéniques participe même à l'intégration des migrants. Plusieurs d'entre eux ont la double casquette comédien/artisan:"On accueille beaucoup de réfugiés qui sont soudeurs, cuisiniers. Le théâtre n'est pas tout. Pour qu'ils puissent rester quelques années, on n'oublie pas qu'ils ont aussi besoin de travailler." Résultat: ils sont nombreux à se prendre d'affection pour le théâtre et ceux qui l'animent. Jusqu'à parfois dépasser allègrement les horaires de leurs ateliers...

"Les plus jeunes apprennent à manier des outils qui les fascinent. Ils font parfois la queue pour utiliser une perceuse."

Ce soir-là, c'est répétition. Pietro dispense ses indications aux comédiens d'une voix claironnante. Il s'agite autour de la table. Débite un flot ininterrompu de consignes, gestuelle théâtralisée à l'appui. 

Plus loin, Karamba s'est isolé pour travailler son texte dans une ambiance studieuse. Arrivé de Gambie il y a 2 ans, le jeune homme de 20 ans est concentré sur sa feuille. Pour lui, le théâtre est aussi un moyen moins académique de se familiariser avec la langue italienne.

"C'est quand même moins chiant qu'un cours d'italien, non ?"

                                                 Karen

La compagnie est au milieu d'une série de spectacles baptisée Quartieri in movimento !. Des représentations qui parcourent Bologne pendant deux semaines, sorte d'alternative à la programmation des théâtres de la ville. "Le répertoire officiel n'attire que des vieux, et les salles sont souvent à moitié vides, déplore Karen. Ils font des efforts mais ce n'est pas encore suffisant." Des tarifs préférentiels ont déjà été mis en place dans les théâtres de la ville. Mais avec des prix qui avoisinent au mieux les 5 euros (15 la plupart du temps), une pièce de théâtre reste difficilement abordable pour les migrants établis à Bologne. "Il faudrait qu'ils comprennent qu'en variant leur offre et en baissant leur prix, beaucoup de jeunes issus de l'immigration seraient prêts à acheter des places. Nos ateliers ont fait naître des vocations." 


Grand artisan du projet Cantieri Meticci, Pietro Floridia raconte les motivations qui animent son laboratoire théâtral :

Par Bastien Munch et Jérémy Pellet