CannaBologna #4

Une plante pas si verte

Depuis l'arrivée du cannabis "light" en Italie, les producteurs se battent pour avoir la meilleure part de ce nouveau marché. En coulisse, tout n'est pas rose au pays de la Ganja.  Reportage à l'IndicaSativa Trade, le plus gros salon italien consacré au cannabis.

«Vous savez, toutes ces histoires, je pense que ce sont des légendes urbaines». Derrière son stand, Kevin, 27 ans, lunettes et barbe noire, se veut rassurant. Son cannabis est naturel, cultivé en Italie par un producteur qu'il a lui-même choisi. Il n’a été ni modifié, ni transformé.

Ces histoires, ce sont celles permises par la loi 242 du 2 décembre 2016, beaucoup trop ambiguë et «pas claire» (Cf. CannaBologna #1). 

Kevin est l'un des 130 exposants de la 6ème édition de l'IndicaSativa Trade, qui a lieu à l'Unipol Arena de Bologne, du 18 au 20 mai. Ce salon, dédié au cannabis et tous ses produits dérivés, est le plus gros d'Italie.

«Notre CBD est à 18 %. Nous n'utilisons pas de spray sur nos plantes. Nous faisons les choses correctement. Les autres, je ne sais pas... [rires]».
Le CBD, littéralement cannabidiol, est – avec le THC (tétrahydrocannabinol) - l’un des 113 cannabinoïdes présents dans le cannabis.

En Italie, depuis cette loi, les taux de CBD et de THC sont respectivement limités à 25 et 0,6 %. Sur chaque stand, le taux de CBD ne dépasse pas 20 %. Le THC, lui, navigue entre 0,2 et 0,4 %. Partout sur le salon, on montre patte blanche.

«De la beuh au micro-ondes»

Alessandro Spadoni n'y croit pas. Il est le gérant du magasin «WeedUp», à quelques mètres du Palazzo Ercolani, sur la Strada Maggiore. Avant cela, Alessandro cultivait du cannabis à Amsterdam.

Comme preuve à ses clients de sa bonne éthique professionnelle, Alessandro a installé un microscope sur son comptoir pour montrer de quoi est fait son cannabis. 

Ce jeudi 17 mai 2018, il vient de recevoir un échantillon douteux venu droit des Pays-Bas. «Les mecs l’ont passé au micro-ondes. Le but est de faire descendre le taux de THC en dessous de 0,6 %. Ensuite, il saupoudre le tout avec du spray pour augmenter l’odeur du produit et le mette sur le commerce. Croyez-moi, c’est de la merde » dit Alessandro.

À gauche, une tête de cannabis passée au micro-ondes. Les cannabinoïdes ont tous été grillés, de même que la fleur entière.
  À droite, une variété de cannabis "light" non altérée.

Cannabusiness

Le plus gros producteur de cannabis en Italie s'appelle «EasyJoint». Son patron, Luca Marola, règne sur un empire qui couvre 85 % du marché italien. L'entreprise est d'ailleurs le premier sponsor de l'IndicaSativa Trade.

 Le 16 mai 2017, jour de la légalisation de facto du cannabis "light", EasyJoint était la première entreprise à investir ce nouveau marché. De nombreuses histoires circulent autour de Luca Marola.

Ancien homme politique, membre des radicaux italiens, il aurait eu vent de la loi 242 avant que celle-ci ne soit publiée. Il aurait alors usé des failles de la loi pour s’y engouffrer et devenir le premier producteur de cannabis du pays, ce qu’il est aujourd’hui. Une autre rumeur voudrait qu'il aurait acheté une partie de ces terres dédiées à la culture de cannabis à 1300 euros l’hectare, une somme ridicule.

Dans les allées de l’IndicaSativa Trade où l'on sent plus le «vrai» cannabis que le «light», les propos sont moins accusateurs. Il n’en demeure pas moins acerbes. «EasyJoint» n’a, semble t-il, pas beaucoup d’amis ici. Leurs produits sont souvent déclarés comme «merdiques» par les autres producteurs présents. On répète aussi que l’entreprise «ne pense qu’au fric, au détriment de la qualité de la plante».  

À l’extérieur de l’Unipol Arena, c’est un Luca Marola narquois, qui répond à ces attaques... avec un certain flegme :

Comme beaucoup au salon, Luca Marola souhaite que la loi 242 soit changée et étendue au-delà du seul cannabis "light". Concernant ce dernier, il souhaite que le taux de THC maximal soit rehaussé entre 1% et 2% pour avoir une plus grande marge de manœuvre sur le taux de CBD.  L'argument officiel avancé est qu'il responsabiliserait les consommateurs. Officieusement, du côté des producteurs, c'est encore une autre histoire...

Par Luc Oerthel et Théophile Larcher.