Bologne, l'empreinte bleue

« Peuples de l'Italie, l'armée française vient rompre vos chaînes ». Par ces quelques mots, Napoléon Bonaparte imposait son autorité au cœur des grandes villes italiennes. Lorsque l'empereur est entré à Bologne, les changements au sein de la ville ont été instantanés. Depuis, les liens entre les deux pays ont toujours été étroits. Les 4 000 français vivant dans la capitale d'Émilie-Romagne doivent s'y sentir un peu comme chez eux.

Au pays de la mortadelle, du « ragu' alla bolognese » et de la crème glacée, difficile d'imaginer que l'on puisse trouver du foie gras ou du cassoulet. Pourtant, une petite boutique s'est installée au cœur de la capitale de l'Émilie-Romagne. Le bistrot « La Fleur du Vin » propose des produits typiques de l’hexagone tout en cultivant un art de vivre à la française.

Crédits : MM

Aurélie, parisienne d'origine, vit à Bologne depuis deux ans et travaille dans ce magasin tenu par des Italiens. Si la clientèle locale marche beaucoup à travers les stéréotypes de la gastronomie française, « La Fleur du Vin » permet aux français vivant à Bologne de retrouver les saveurs de leur pays natal.

« Ça leur manque c'est sûr, confie-t-elle. Ils viennent surtout lorsqu'ils ont des dîners entre amis, pour leur faire goûter des spécialités. Sinon, le seul moment où l'on peut trouver des produits français, c'est en décembre lors du marché Piazza Minghetti. C'est assez marrant car ce sont des produits français, mais les industries emploient des Italiens pour les vendre ici ! »

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Pour Aurélie, l'ouverture d'une échoppe Via degli Orefici est un véritable défi :

« En dehors de Rome ou de Milan, on ne trouve pas de restos ou de magasins d'alimentation français. À Bologne, les habitants ne sont pas habitués à voir des produits d'autres cultures. La plupart sont contents de pouvoir trouver des produits originaux mais d'autres critiquent le fait qu'un esprit français se soit installé dans leur quartier. »

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Pourtant, on ne peut pas dire que l'atmosphère bleu-blanc-rouge date d'aujourd'hui ! La France est présente dans beaucoup de rues de Bologne. Premièrement parce que les Gaulois fondèrent la colonie de Bononia en – 189 avant J.-C, mais aussi parce que de nombreuses figures françaises ont participé à l'élévation de la ville. Jean Goujon a réalisé en 1549 la sculpture des Nymphes exposée au Palais d’Accursio. Quant à Jean de Bologne, il est à l’origine de l’un des joyaux du cœur de ville : la célèbre Fontaine de Neptune. Sans parler des jardins de la Montagnola, voulus par Napoléon. Leur structure calquée sur les jardins à la française ont fait la réputation de cet endroit dans toute l'Émilie-Romagne.

La maison de Jean Goujon, Piazza San Michele

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L'architecte Guido Cavina est conscient de l’inspiration française sur les façades bolonaises :

« En Italie, la restauration est en fait de la conservation. Mais lorsque des éléments tombent en ruine, ils sont remplacés. Certaines structures, ou même des balcons, ont été fabriqués selon les critères de l’Art Nouveau. Les architectes se sont souvent inspirés des travaux d’Eugène Viollet-le-Duc. » C’est le cas de la Palazzina Majani, construit par Augusto Sezanne en 1908. Elle est un parfait exemple de style floral bolonais et inspiré des structures de Viollet-le-Duc.

La Palazzina Majani abrite désormais un magasin de prêt-à-porter. (Crédits : MM)

Mais la « French Touch » ne s'est pas arrêtée là ! Après guerre, la construction de bâtiments sous la mairie communiste de Bologne a créé de nombreux débats : 

« Le modernisme n’était pas trop aimé, avoue Guido. Mais lorsqu’on a demandé à Mario Cucinella de dessiner les nouveaux bureaux de la mairie de Bologne, il s’est inspiré des lignes modernes du quartier de La Défense. On peut aussi évoquer la construction du pavillon de l’Esprit Nouveau, pensé par Le Corbusier et qui a enrichi le quartier bolonais de la Fiera. Les habitants de la ville ne sont pas conscients de cette inspiration française. Mais peut-être que les structures modernes sont un peu passe-partout… »

L'Esprit Nouveau imaginé par Le Corbusier (Crédits : Bologna Welcome)

La religion catholique et le peuple italien sont étroitement liés. Bologne a la particularité de proposer quelques offices dans la langue de Molière. C'est le cas, par exemple, de la basilique San Francesco, où des prêtres franciscains président la messe à proximité de la piazza de Marchi. Chez certains vieux Bolonais, le français est aussi utilisé dans le dialecte d’Emilie-Romagne. Ici, quand on demande un «tirabouchon», c’est généralement pour déboucher de bonnes bouteilles.

La présence des étudiants français se voient jusque dans les rues

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Anna Soncini, professeure de français à l'université, vit à Bologne depuis 40 ans. Dans ses cours, elle essaie de transmettre cette passion à ses étudiants : 

« En général, le français est en perte de vitesse. Mais il existe toute une partie d’étudiants qui le choisissent en matière majeure car, au sein de l’Université de Bologne, nous avons un double diplôme reconnu avec une bourse intéressante. Le lycée Galvani a aussi un baccalauréat spécialisé en français, avec des cours alternés dans les deux langues. »

Anna Soncini, professeure de français à l'université de Bologne

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Reste la question de la littérature française. Pour la professeure de français, elle est de moins en moins connue* par les nouvelles générations : 

« Cela va de soi, les étudiants qui étudient le français étudient aussi la littérature française. Jusqu'au milieu du XXe siècle, les bolonais la connaissaient bien. Aujourd’hui les gens font moins attention à l’origine du livre. Pour moi, la France et ses auteurs ont fait beaucoup pour l’Europe. Il y a quelque chose qui se perd et j’en suis vraiment désolée. »

*Comme toutes les autres à l’exception des romans américains (cf. Anna Soncini)

Par Mathieu MESSAGE