Sa Majesté
LE CIRQUE

#JDA 854

JULES VERNE, QUI A INAUGURÉ LE CIRQUE D'AMIENS ET LUI A LAISSÉ SON NOM, VOYAIT EN LUI « LE PLUS BEAU SANS CONTESTE ÉDIFIÉ EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER ». APRÈS UN AN DE RESTAURATION, ON PEUT À NOUVEAU DONNER RAISON AU CÉLÈBRE ÉCRIVAIN.

Place Longueville, le Cirque Jules- Verne resplendit à nouveau. « Tel que Jules Verne l'a connu », se félicite Nathalie Devèze, vice-présidente déléguée à la culture d’Amiens Métropole, propriétaire de l’édifice, qui a consacré un an et 1,6 M€ de travaux à sa rénovation. Ce polygone, œuvre d’un ancien élève de Gustave Eiffel, Émile Riquier, est inauguré le 23 juin 1889 par le conseiller municipal Jules Verne, alors vice-président de la commission chargée des affaires culturelles. Aussi beau soit-il – « le plus beau sans conteste » dira l’écrivain –, il ne vient alors que s’ajouter à la longue liste des cirques en dur que l’on re- trouve un peu partout en France et en Europe. Mais au cours du XXe siècle, ils ont quasiment tous disparu. Celui d’Amiens a résisté, aux modes comme aux guerres. Mais pas forcément au temps. Sa restauration intérieure et la remise en état des façades en 2003, parachevées par la composition picturale de l’artiste autrichien Ernst Caramelle sur la coupole, n’a pas suffi : le froid et la pluie s’infiltrent au niveau de la coupole et des parois intérieures. Façades, menuiseries et toiture sont épuisées. 

DES TRAVAUX SANS FERMETURE

À l'automne 2016, la cure de jouvence est alors engagée. Difficulté supplémentaire, elle doit être menée en site occupé, de concert avec les activités du Cirque. « Il n’y avait pas eu de gros travaux de fond depuis 1992, rappelle Nathalie Devèze. Grâce à ceux réalisés, nous offrons de meilleures conditions d’accueil et de travail aux équipes. » Le début de ces travaux s’est pourtant avéré délicat : à l’arrière du bâtiment, au-dessus de l’entrée des artistes, la haute cheminée « présentait deux boisseaux concentriques en briques reliés par des tirants en fer rouillés et brisés, révèle Jean Chèdru, chef du service patrimoine immobilier d'Amiens Métropole, qui a dirigé les opérations.Il a fallu les reconsolider et solidariser le tout grâce à des armatures imperceptibles en inox torsadé ».

BLEU SEYCHELLES ET ROUGE SAINT-ÉMILION 

Le nettoyage en profondeur de la pierre a également révélé des tons de couleurs moirées différentes sur les murs, les colonnades et les balcons. Le choix a été fait de les restaurer pour redonner son aspect originel au bâtiment. Jean Chèdru tient aussi à montrer « ces rambardes extérieures, de la même couleur que les ferrures colorées d'un bleu Seychelles découvert lors des opérations de nettoyage ». Le même qui sublime aujourd'hui les deux marquises en fer forgé initialement tendues au-dessus des guichets et dont l’une, détruite par un obus en 1916, a été entièrement recréée par un ferronnier d’art. 

Les 120 menuiseries qui ponctuent les seize plans de l'édifice ont elles aussi été remplacées selon les critères d'origine : en chêne et de couleur rouge saint-émilion. Alors, un cirque à l’identique ? Pas exactement, mais pour de bonnes raisons : la mise aux normes d’accessibilité a imposé de légères modifications. Et permis, surtout, de réserver 18 places aux per- sonnes en situation de handicap. Pour le confort de tous, la rénovation du système de chauffage, dont celui qui irrigue les coulisses, a également fait partie des travaux.

PROTÉGER DES PLUIES PLUS INTENSES

Mais l’une des phases les plus importantes du chantier consistait en la réfection de la toiture en ardoise. Il fallait revoir son étanchéité et résoudre les infiltrations au niveau de la coupole et des parois intérieures. Sa conception n’était plus en adéquation avec les conditions météorologiques et les pluies plus intenses d’aujourd’hui. Le pureau (la partie découverte de l’ardoise ou de la tuile qui reçoit la pluie) et les chéneaux en zinc ont donc été retravaillés afin d’étanchéifier la surface. Et de nouvelles descentes d’eau ont fait leur apparition pour éviter les débordements et les ruissellements sur la pierre. Des travaux dont profitent les deux restaurants du rez-de-chaussée. « Le bâtiment méritait cette image nouvelle », salue Zulfiqar Mahar, le patron de L’Himalaya.Même satisfaction de l’autre côté, pour Anthony Flamand, à la tête avec son épouse de La Coupole : « l’installation du double vitrage et d’une gouttière pour avaler les litres d’eau de pluie sont déjà positifs. Et quand le Cirque sera illuminé, nous serons davantage vus ».

« Il n'y avait pas eu de gros travaux de fond depuis 1992 » Nathalie Devèze, vice-présidente d'Amiens Métropole déléguée à la culture

ÉCLAIRÉ LA NUIT

Illuminé ? C’est en effet la grande nouveauté. Avec le souci de respecter l’existant : « Chaque détail de la mise en lumière a fait l’objet d’une ré- flexion aboutie, insiste Jean Chèdru. 130 luminaires à led de faible consommation ont été installés sur la périphérie du bâtiment : couleur chaude pour la pierre, froide pour le zinc de la toiture, neutre pour les menuiseries ». Onze scénarios d’illuminations colorées ont été pensés pour animer les concerts, les fêtes nationales, les spectacles de cirque et arts de la rue et autres événements. Et lui donner l’occasion, non plus seulement d’accueillir des spectacles, mais de briller pour la ville entière.

JULES VERNE SE CONJUGUE AUSSI AU FUTUR

Au printemps dernier, Amiens Métropole lançait un appel à candidature pour définir un concept scénographique et d'événements sur le thème de Jules Verne. L’objectif, énoncé par Alain Gest, le président de l’agglomération : « Conforter la notoriété et l’attractivité d’Amiens » en misant sur « l’une des cinq personnalités les plus célèbres au monde ». Il inclurait « un ouvrage bâti, élément parmi d’autres dans une ambition événementielle plus large », indique-t-on à la Sem Amiens Aménagement, désignée par Amiens Métropole pour piloter le développement du concept. Deux dossiers ont été retenus. Les candidats encore en lice doivent maintenant peaufiner leurs projets.

On devrait connaître le lauréat en février. Ce que l’on sait déjà, c’est que le résultat sera résolument moderne. À l’image de Jules Verne.

Un écrin pour le Pôle national cirque et arts de la rue

Célia Deliau et Julien Rosemberg, conjointement nommés à la direction du Pôle national cirque et arts de la rue en novembre 2016, voient dans le Cirque Jules-Verne « un écrin pour la structure. Il est certes un joyau patrimonial exceptionnel, mais notre travail consiste à mettre en lumière ce qui se passe à l'intérieur ». Il reste donc des aménagements à poursuivre, notamment pour le public et les agents. Côté accueil, « on imagine de nouveaux mobiliers et des décos variables, indique Célia Deliau. 

Nous réfléchissons aussi à une scénographie de parcours urbains convergeant vers le Cirque, qui doit être un point de jonction entre le cœur de ville et le quartierHenriville ». La question de la proximité et de la relation avec les publics est centrale. La billetterie informatisée depuis septembre fait d'ailleurs un tabac. Des spectacles comme Halka, du Groupe acrobatique de Tanger (le 14 novembre) ou celui du Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne en février affichent déjà complets. « La saison, articulée avec nos partenaires de la Métropole, fédère énormément », se satisfait le duo, qui travaille « sur la mémoire du cirque pour la saison 2018-2019 ». Avec en prime, lors des prochaines Journées du patrimoine, le retour de l’un des deux lustres en métal et globe en opaline qui ornaient l’entrée du Cirque.

« Jusqu’alors disparus, l’un a été retrouvé au cirque Tohu de Montréal. Grâce à une convention, le lustre reviendra à Amiens », se félicite Nathalie Devèze.


// Ingrid Lemaire