«J'ai trouvé une maison, une famille et une stabilité mentale»

La nouvelle vie de Juan, habitant de la Ferme Habitat Solidaire

9 heures 30 - Le bruit des oiseaux et des avions s'entremêlent. Il est l'heure de quitter son chalet en bois pour tous se retrouver. Raptor, le chien de Sébastien, attend tout le monde au chalet commun pour commencer la journée, autour d'un café.

Accent chantant et chaleureux, vêtu de sa casquette et de son plus beau sourire Juan ne manque pas de plaisanter de sa nouvelle coupe : « La grêle est passée sur ma tête », rigole-t-il, suite aux intempéries du week-end. 

Cela fait six mois qu'il partage le quotidien de l'association Ferme Habitat Solidaire. Perché dans les hauteurs de Toulouse, ce mode d'habitat est l’idée de Raphaël Marcelon. « Il s’agit d’un projet de vie en petite communauté. Nous accueillons des gens qui viennent de milieux défavorisés, de la rue, qui ont perdu toute stabilité. Ici c’est un tremplin (de six mois à un an), afin d’être de nouveau inclus dans la société », explique le président de l’association. Les habitants peuvent reprendre une activité et confiance en eux. Préparer les repas partagés, accueillir les groupes scolaires, construire les logements, s’occuper du potager, nourrir et nettoyer les animaux… Le but est de « vivre ensemble » et de « s’accompagner les uns les autres ».

« Je me suis trompé dans ma vie, j'ai mal commencé et j'ai mal fini ».

Cheval, moutons, chèvres, cochons d'inde, lapins, canards ou encore poules, c’est à Juan de s’occuper de tout ce petit monde. Si aujourd’hui il le fait avec le sourire aux lèvres, il n’en a pas toujours été ainsi...



A 62 ans Juan a connu de nombreuses difficultés dans sa vie. Originaire de Cordoue en Andalousie, c'est à 14 ans qu’il quitte son cocon familial pour travailler. « Je voulais ma liberté. Les enfants étaient sous la responsabilité du père. Sous Franco il y avait la guardia civil, quand un enfant quittait la maison les parents le signalaient. Mais mon père m’a dit "tu veux vivre ta vie va s’y je ne dirai rien à la police". Je suis parti et je n’ai plus parlé à mes parents »

Maître d’hôtellerie à Palma de Majorque, Juan a laissé derrière lui sa femme et ses deux enfants. Discothèques, filles, plage, whisky… « Avant je gagnais beaucoup d’argent, 10 000, 7 500 pesetas... Ma tête me disait de faire la fête. Mais la vie ce n’est pas ça, c’est la famille, c’est une organisation ». Juan est finalement renvoyé à l’âge de 32 ans de son hôtel. La cause ? Il fumait régulièrement du « chocolate ». Sans travail et avec des bouches à nourrir, il est tombé petit à petit dans la délinquance.

« Les braquages c'est de l’argent facile, c’est une roue. Si on ne nous attrape pas on continue »

Après avoir commis plusieurs braquages, Juan a été retrouvé par la police, à cause des caméras de vidéosurveillance. Condamné à 24 ans de prison, il y est resté 11 ans grâce à son travail acharné pour sortir de là. « Je suis quelqu'un de gentil, je n’ai jamais fait de mal à personne. J’ai commis cela pour faire manger mes enfants. Tout est ma faute, j’ai perdu ma famille, ma vie » se désole-t-il. En 1991, c’est sans femme ni enfants, qu’il s’est retrouvé à sa sortie de prison. Il a tout fait pour chercher du travail en Espagne, enchaînant les petits boulots… mais sans succès. Juan a donc pris la décision de partir : « La vie en Espagne était très difficile. J’ai fait la manche, j’ai habité dans la rue. J’étais fatigué de marcher partout. Je suis donc parti en France pour améliorer ma vie ».

Arrivé une première fois à Toulouse, c'est à Emmaüs à Perpignan qu’il pose ses valises pendant plus de dix ans. Magasin, livraison, transport, tri de ferraille et de bric à brac… il a tout mis en place pour retrouver une vie normale. Malgré ses années de travail à Emmaüs, Juan ne pouvait toucher le RSA, à quatre ans de la retraite. « Je voulais trouver quelque chose de mieux. J’ai pris le train de Perpignan pour Toulouse et j’ai fait de l’auto stop. Car il y a plus d’opportunités pour trouver du travail ici ». Inscrit à Pôle Emploi, il a essayé encore et encore de trouver du travail. En dépit de sa volonté il a retrouvé les aléas de la rue, avant de faire la rencontre de Raphaël Marcelon.

« Les animaux font partis de ma famille »

Avant de rejoindre les autres au chalet commun, Juan est salué à sa fenêtre par Sacha, le cheval de la ferme. Venant tous les matins frapper à son carreau, il a dû mettre une barrière. « Dès le matin la première chose que je fais c'est de regarder les animaux, je les appelle, je leur parle ». Coco pour les gros animaux, patata pour les petits, ils ont tous le même surnom… en Espagnol ! Entre lui et ces habitants à quatre ou deux pattes est née une véritable complicité. Sa porte est à peine ouverte, que les chèvres l’attendent : « On y va c’est bon, allez ! Tu veux passer ? ». Il est temps pour Juan de faire son tour quotidien et nourrir toute la ferme.



De sa propre initiative, il s'occupe de nourrir tous les jours tous les animaux. Qui dit nourrir, dit nettoyer tous les trois jours leurs déjections. « C'est beaucoup de boulot, mais quand j’ai fini et que je vois que tout est propre, je suis content », se ravit-il. Lorsque toutes ses tâches quotidiennes sont effectuées, il n’hésite pas à donner un coup de main ailleurs, dès que nécessaire.

11 heures 30 – Avant de pouvoir se retrouver autour d'un bon repas, l’estomac des rongeurs n’attend pas : « Les lapins mangent tous les temps », s'amuse-t-il.

Oscar, la tortue des lieux, a décidé de fuguer pendant le week-end. Très complice et joueur avec tous les animaux, c'est une autre mauvaise découverte que fait Juan… Becca l’un des cochons d’inde vient de mourir. « Les cochons d’inde meurent, bientôt ce sera moi », s’attriste-t-il.

« Les animaux sont très importants pour moi. Jamais ils ne vont commettre de trahison. Les gens sont remplis de rancœur, les animaux n'en ont pas ».

A 62 ans, Juan est réaliste : « il n'a rien fait ». Il n’a pas bien organisé sa vie. Mais la dure réalité de l’humanité, il l’a bien connu lorsqu’il vivait dans la rue. Il a passé plus de trois mois à dormir près du Parc des Expositions de Toulouse. Un matin, il ne s’attendait pas à tomber sur une personne décédée. « La rue c’est très dure, c’est de la supervivencia (survivance) ».

La cruauté des hommes, Juan l'a subie. 143 chevaux, moteur silencieux, tout de bleue vêtue… la voiture héritée de son père était son toit, ce qui restait de sa dignité.

Dans la rue, il ne dormait que d'un œil. Après s’être fait attraper par les chaussures, d’autres ne se sont pas gênés pour lui jeter des cailloux. « Je dormais dans ma voiture à Rangueil, deux personnes ont alors cassé la vitre. La caillou m’est passé au ras du visage », explique-t-il avec désolation. Désormais, il n’hésite pas à prêter sa voiture aux habitants de la ferme. Un service qu’il rend avec plaisir, un échange qu’il partage jusqu’au repas.

« La comida esta lista » 

Un repas à la française mais des conversations aux couleurs de l'Espagne et de l’Amérique du Sud. Ici on ne fait pas que s’accompagner mais on échange ses cultures. Raphaël aime parler en Espagnol et en apprendre un peu plus tous les jours. Mais pour Juan rien n’y fait : « Dis le moi en Français ». Une vaisselle propre et quelques coups de torchons plus tard... Juan reprend ses activités quotidiennes. Comme bien souvent, Sébastien est à ses côtés pour lui donner un coup de main. Il vient de l'apprendre, il va devenir son voisin : « C’est bien ! Je vais te surveiller !», dit-il au jeune de 17 ans. 

Cela fait trois mois que Sébastien passe ses journées à l'association avec son chien Raptor. Il aide souvent Juan dans l’entretien de la ferme. Discussion sur son passé, conseil avec les animaux… « Je parle à Sébastien comme si c’était mon petit-fils ».

« Tout le monde qui travaille avec moi ici rigole »

Soleil, odeur de paëlla et bonne ambiance… Juan a su ramener son Andalousie à Toulouse. Son humour, son sourire et son autodérision envahissent tous les jours les chalets de la ferme. « Je suis Andalou c'est comme ça ! On rigole tout le temps ».

Derrière son sourire, Juan porte encore sur ses épaules le poids de son passé. Mais malgré les difficultés qu’il a rencontré, et la vie qu’il a vécu : il reste positif avant tout ! « Je suis toujours positif. Si j’ai quelqu’un de négatif à côté de moi je m’en vais », explique-t-il.

La positivité et l'humilité, c’est ce qui lui permet d’avancer dans sa nouvelle vie. Au bout du tunnel ? La République Dominicaine. Avec une retraite de 600 euros en France, il va pouvoir vivre comme un « capitaliste » et se prélasser sur l'eau turquoise des Caraïbes : « Je pense que je vais mourir à 70 ans. Je suis fatigué de la vie. Maintenant je veux profiter du temps qu’il me reste : avoir mon petit bateau, ma petite radio est aller à la pêche ». 

Mais avant cela il faut prendre de l'âge. Juan est d'ailleurs en pleine préparation de son anniversaire, prévu le 15 juin. Soixante-trois bougies et toujours aussi malicieux. Au menu ! Paëlla, mais surtout « Trois bouteilles pour moi ! » s'amuse-t-il. Bien qu'il ne se prenne pas au sérieux, Juan est très réaliste : « La tranquillité et la paix c'est ce qu’il y a de mieux. J’ai eu de la chance de trouver ça, c’est ma maison ».