Stop Fake Ukraine,

une arme contre la propagande

Propagande, conditionnement, culte de la personnalité… Les médias ont un grand pouvoir. Dans certains pays, comme la Corée-du-Nord, la censure est telle, que les habitants n'ont aucune idée de ce qu’il se passe réellement en dehors de leurs frontières.

Si en Russie la liberté médiatique est supérieure à celle de la Corée-du-Nord, la presse n’en reste pas moins, dans sa majorité, contrôlée par le gouvernement.

C’est pour cela que Stop Fake Ukraine, un site de vérification de l’information venant de Russie sur les événements en Ukraine est né le 2 mars 2014.

Selon le ministère russe de la presse, la Russie compte presque 37 000 médias, dont plus de 22 000 journaux et 12 000 magazines. Dans les médias audiovisuels, il y a plus de trois mille chaînes de télévision et deux mille chaines de radios enregistrées. Selon Freedom House, organisation non-gouvernementale financée par le gouvernement américain et basée à Washington, qui étudie l'étendue de la démocratie dans le monde, le gouvernement russe est propriétaire de deux des 14 journaux nationaux, de 60 % des journaux, et, en tout ou en partie, des six stations de télévision nationales. Selon Reporters sans frontières, les médias russes sont globalement sous contrôle de l'état et subissent l'auto-censure.


Désormais la diffusion et les échanges d'informations se font le plus souvent par la télévision. Mais le rayonnement médiatique de la Russie ne s’étend pas uniquement à l’intérieur du pays. Le gouvernement russe garde une main mise sur les anciens pays de l’URSS. Au Kazakhstan par exemple, exceptée la chaîne de télévision kazakhe KTK et Euronews, chaîne d'information européenne, toutes les chaînes de télévision sont russes.

La Guerre de l'information

Crédit: Pixabay.

En janvier 2014, la « révolte de Maïdan » conduit le président Viktor Ianoukovitch à sa chute et à l'élection d’un nouveau chef de l’Etat. Une partie de l’est de l’Ukraine, restée fidèle à la Russie, est persécutée, des conflits sanglants entre pro-européens et pro-russes éclatent, des populations migrent vers l’ouest, la Crimée est annexée le 6 mars 2014 par la Russie qui est largement intervenue dans ces conflits. En tout, le bilan fait état de quelques 8.000 morts.

À ce moment-là, la propagande russe a connu un essor magistral. Elle cible la Russie, l’Ukraine, mais aussi tous les autres pays du monde. En France, la chaîne de télévision RT et l’agence de presse multimédia Sputnik en sont les deux exemples probants. « Pro-russes, complotistes, proches de la droite pro-russe et du Front national… » En janvier dernier, Rue89 avait publié une enquête sur le nouvel arsenal médiatique russe. Ces deux médias, apparus il y a moins de deux ans, sont financés à 100 % par le Kremlin. À travers eux, le pays de Vladimir Poutine impose une actualité qualifiée d’« alternative ».

« RT fait partie de ces entreprises stratégiques, comme le nucléaire, l’armement ou l’énergie. Les Russes ont une approche militaire de l’information. C’est pourquoi elle ne souffrira pas de pertes de financement malgré la chute du rouble », explique Julien Nocetti, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Pour lutter contre cette propagande, le site de " fact checkingStop Fake a été fondé par des journalistes, universitaires, et étudiants ukrainien, de l’école de journalisme Mohyla, à Kiev.

David contre Goliath

Depuis trois ans, l’équipe de Stop Fake Ukraine analyse, vérifie et dénonce certaines informations venant des médias russes. Elle s’est donné pour tâche de remédier à la désinformation : cinq personnes face à une marée d’informations venues du géant voisin. Une guerre de l’information qui rappelle le combat biblique de David contre Goliath.

Leur mission ? Repérer les "fake news" et rétablir la vérité. Mais au fait, qu’est-ce qu’une "fake news" ? Ce qu’on appelle aujourd’hui "fake news", « Intox », ou « Hoax », sont de nouveaux mots pour nommer des processus anciens de désinformation comme les rumeurs ou la propagande. Par exemple, lors de l’élection présidentielle américaine, le monde entier a été témoin du piratage de l’opinion par la Russie.

« Les médias russes ont massivement diffusé une information évoquant les craintes de l’opinion publique à cause de la santé de Hillary Clinton, candidate démocrate à la présidence américaine. Ces articles ont été provoqués par une photo de Hillary Clinton qui montre qu’on l’aide à monter les escaliers. Ren TV, RT, TVC, Pravda.ru, Argumenty i Fakty, Moskovskiy Komsomolets, Life.ru et beaucoup d’autres ont diffusé ce fake » écrivait Stop Fake en octobre 2016.

En plus du soutien clair apporté par le Kremlin à Donald Trump et relayé dans les médias russes, une vendetta contre le gouvernement Obama et la candidate démocrate a été orchestrée et nourrie par des "fake news" en tous genres.

« Les médias russes et ukrainiens ont diffusé le fake d’un journal en ligne américain, le «Christian Times Newspaper». Des journalistes américains ont démenti les informations parlant de dizaines de milliers de bulletins électoraux où les cases seraient déjà cochées «pour Clinton». En outre, le journal « Christian Times Newspaper » a retiré l’article de son site internet. Cependant, le journal en ligne ukrainien «Vesti», tout comme les médias russes qui ont publié cette information, ont laissé le fake sur leurs sites », écrivait ainsi Stop Fake le 24 octobre 2016, ajoutant : « Le site de recoupement Snopes.com a complètement démenti cette nouvelle. Cette photo a en fait été prise en 2015, en Angleterre (Birmingham). En fait, il s’agit d’une photo où un homme décharge un camion rempli d’urnes, près d’un bureau de votes. Snopes.com a indiqué que le «Christian Times Newspaper» a inventé et diffusé plusieurs nouvelles, affirmant par exemple que Donald Trump a été viré des primaires dans 5 états, qu’un admirateur afro-américain de Trump a été tué à Chicago, ou alors que la fête nationale de 4 juillet a été annulée à cause de la menace du terrorisme ».

Propagande de grande ampleur

Crédit : Pixabay

« Ce site de "fact checking" est nécessaire car il permet de se rendre compte de l'ampleur de la propagande qui vient de Russie et de l’importance de se battre contre ça », soutient Oksana Romaniuk, est la directrice exécutive de l’IMI (Institut des Mass Medias).

Elle ouvre la porte d’un appartement douillet, en pantoufles, un sourire aux lèvres et une tasse en forme de chat à la main. Ces locaux, au centre de Kiev, ressemblent plus à un appartement où vivrait une petite famille très soudée. Mais en dépit de l’ambiance chaleureuse, on traite dans ces lieux de sujets graves. Ici sont vérifiées chaque jour des dizaines d’informations, pour établir les faits lorsque des journalistes sont soumis à des pressions, ou attaqués.

L’institut des Mass Médias de Kiev enquête chaque jour sur la désinformation, la propagande, les manipulations et les violations des droits des journalistes. Dans ce pays où la liberté de la presse n’a pas toujours été respectée, il travaille à consolider l’indépendance des médias. Il étudie particulièrement le contenu des médias dans les territoires séparatistes.

Une équipe de 40 personnes basées dans toutes les régions ukrainiennes, dont 14 dans la capitale, travaillent dans cette organisation non-gouvernementale, créée en 1996 et soutenue par l’ONG Reporters sans Frontières. Leur objectif est de protéger la liberté de la presse et les droits des journalistes et en Ukraine. Ils analysent le contenu des médias en ligne et de la presse écrite, puis réalisent des enquêtes en interpellant le ministère de l’Intérieur, le procureur général et l’administration présidentielle.

Aujourd’hui, ce qui occupe beaucoup l’IMI est l’atmosphère de guerre d’information entre les médias russes et ukrainiens, et le grand nombre de fausses informations qui circulent, des "fakes". «Le plus grand danger vient des réseaux sociaux. Certains journalistes y prennent leurs informations et les relaient sans vérifier», relève Oksana Romaniuk.

En 2014, les médias pro-Ianoukovitch ont tenté de discréditer les manifestants, décrits comme des alcooliques, des prostituées, ou accusés de vouloir déstabiliser le gouvernement pour de l’argent. « C’était évident qu’ils voulaient convaincre les gens de ne pas soutenir les manifestations. Puis les médias russes comme Rossiya Segodnya se sont mis à déformer les faits de plus en plus. On a compris que quelque chose se passait et que ce n’était pas normal » raconte Oksana Romaniuk.

Selon une experte de l’IMI, de l’autre côté de la ligne de front la désinformation est devenue une réalité permanente. « Plus aucune chaîne de télévision ukrainienne n’est diffusée; les sites ukrainiens sont bloqués. De ce fait, ces populations n’ont pas accès à une vision normale des évènements en cours» explique Olena Yolub.

Cette femme de 34 ans, chef du département de surveillance des médias de l’IMI, analyse le contenu des médias dans les territoires occupés du Donbass. Bilan : quasiment toutes les informations qui parviennent aux populations de l’Ouest du pays sont présentées de façon mensongère, selon elle. « Sur 44 informations par jour il peut y avoir 42 "fake news". Ils vivent dans une atmosphère de peur et d’émotions négatives qui influencent leur vie. Là-bas ils y croient vraiment, ils ont une vision très négative de l’Ukraine ».

Novorossiya, Ruskaya Vesna, Donetsk News Agency, Anti-Maïdan, des dizaines de sites non contrôlés par le gouvernement ukrainien diffusent dans le Donbass des faits tronqués ou des bribes de discours complètement sorties de leur contexte. Ces sites sont consultés par plus de 100 000 personnes par jour. Les populations locales, déjà choquées par la guerre qui est à leur porte, sont maintenues dans un climat de terreur et de haine de leur propre pays. Les groupes de propagandistes publient aussi sur les réseaux sociaux. 

« Les Russes veulent contrôler ce territoire. Les gens qui ont peur vont regarder vers quelqu’un qui peut les protéger, la peur devient l’instrument de manipulation de la Russie. Le problème c'est que faire revenir ces gens à la réalité est presque impossible. »

Dans les territoires séparatistes, plus de la moitié des habitants pensent que le conflit ukrainien a été organisé par l’Union Européenne et les États-Unis. Les médias locaux usent de vocabulaire xénophobe, raciste et violent. Ce qu’essaye désespérément de dénoncer Stop Fake.

Mensonges et calomnies

« Selon la presse locale, l'armée russe n’a jamais mis les pieds dans le Dombass et ne participe pas militairement au conflit qui fait rage dans l’ouest de l’Ukraine », raconte Yevhen Fedchenko, directeur de l’école de journalisme de Kiev, co-fondateur et rédacteur en chef de Stop Fake. Une femme rencontrée à l’église Philadelphie, une association à Kiev qui vient en aide aux réfugiés, apporte pourtant un tout autre témoignage.

Des larmes sillonnent les petites rides qui constellent le visage de Nina et ses yeux sont hantés quand elle parle de ce qu’elle a vécu. A 67 ans, elle a tout perdu. Elle a dû quitter Horlivka, petite ville dans la périphérie de Donetsk, en février 2015.

Les mains jointes, la voix tremblante, Nina se rappelle. « Les chars russes sont arrivés. Le 27 juillet 2014, les tirs de mortier ont commencé, ils ont visé délibérément des aires de jeux et ont détruit deux écoles. C’était horrible, trente personnes sont mortes le premier jour, dont beaucoup d’enfants. Ils n’arrêtaient pas de tirer, j’entends encore le bruit. Les gens vivent dans un climat de terreur permanent dans l’Ouest. Toutes les infrastructures, ont été détruites par les russes. Des bâtiments entiers ont disparu. Les arbres ont brûlé, les champs sont remplis de mines. Ma ville est morte. Ils n’ont aucune pitié, ils tuent des vieux, des femmes, des enfants.», confie-t-elle.

Elle insiste sur le fait que la propagande et la censure venant de Russie ont en quelque sorte lavé le cerveau des habitants de ces zones : « j’aimerais rentrer chez moi, retrouver ma ville, ma maison, mes animaux, mais je ne peux pas. Tout le monde là-bas sait très bien que je suis pro-ukrainienne. Mes voisins, qui étaient avant mes amis, ont été conditionnés, ils me traitent de fasciste et disent que s’ils me revoient, ils m’enverront en prison. »

Grande guerre, petite histoire

Logo Stop Fake

A ses origines, Stop Fake n'est qu’un simple site regroupant quelques articles. Puis les membres de l’équipe, tous des journalistes professionnels volontaires, traduisent les contenus. Stop Fake est aujourd’hui disponible en dix langues différentes sur internet (russe, anglais, espagnol, roumain, bulgare, française, italien, néerlandais, tchèque et allemand). 

«Nous avons réfléchi à la manière dont nous pouvions réagir face à la recrudescence de la propagande russe et Stop Fake a été notre réponse», raconte Yevhen Fedchenko.

«On prend des actualités de sources russes et on les vérifie. Quand on voit qu’une information est fausse on la corrige et on explique pourquoi. On fait aussi une liste exhaustive des médias qui répandent cette propagande et qui permet de comprendre à quel point c’est énorme.»

Créé à l’origine par cinq membres de l’Université de Mohyla à Kiev, le projet compte aujourd’hui 29 associés à travers le monde. Pour des raisons de sécurité, l’identité de la majorité des membres de l’équipe reste secrète. Et c’est aussi pour ne pas prendre de risques que Stop Fake n’a pas de salle de rédaction. Certains sont dans d’autres pays, d’autres travaillent de chez eux, mais on ne trouve que très rarement ces journalistes regroupés.

Ils ont également créé un programme radiophonique hebdomadaire diffusé sur RFERL, les stations de radio locales et la radio de l'armée, ainsi qu’un journal papier distribué gratuitement dans les régions de Donetsk et Louhansk une fois par mois. «Ces populations n’ont pas accès aux médias ukrainiens et à notre site internet. On leur explique comment identifier une "fake news" par eux-mêmes et on développe l’actualité locale du Dombass», explique Fedchenko.

Chaque dimanche un journal vidéo résumant les principales "fake news" de la semaine est également diffusé sur les chaines de télévision régionales ukrainiennes, en anglais et en russe.

Après les quelques encouragements d’Alex Mikhaliuk, le producteur responsable tous les aspects techniques, ça tourne. «Souris, respire, et fais de ton mieux !» C’est la première fois que Cynthia présente le journal de StopFake.org, un projet de "fact checking" de la propagande russe. Ses mains tremblent un peu, sa respiration s’accélère sous son chemisier, mais son engagement ne flanche pas. Elle sait pourquoi elle est ici.

«Je pense que c’est essentiel de dénoncer les "fake news", de lutter contre la propagande et le sensationnalisme dans les médias.»

Cette étudiante américaine est venue en Ukraine avec le programme "Fulbright" pour travailler avec les réfugiés et les victimes de la guerre. Pour elle, participer à Stop Fake est une manière de contribuer à la résolution du conflit qui déchire le pays depuis trois ans.

Autonomie et bénévolat

Les journalistes qui travaille à Stop Fake font du journalisme des faits, ce sont tous des bénévoles, Stop Fake est leur arme de combat. « Les faits sont dénués de sens vous pouvez prouver n’importe quoi grâce à eux », insiste Yevhen Fedchenko. Le site a continué ses activités grâce au "crowdfounding", dons de ses lecteurs. En 2015, des aides financières ont été attribuées par le Fond International «Renaissance», la Fondation nationale pour la démocratie, le Ministère des affaires étrangères Tchèque, de l’Ambassade du Royaume-Uni en Ukraine et du Sigrid Rausing Trust.

« Nous attirons votre attention sur le fait que le Projet StopFake.org n’est pas associé et ne reçoit aucune aide financière de la part des institutions gouvernementales ukrainiennes. Nous sommes une association de journalistes avec pour objectifs principaux de vérifier l’information, d’améliorer le système médiatique et de lutter pour une distinction claire entre le journalisme des faits et la propagande. » 

Alors, de quoi vivent-ils ? Ils ont un autre travail à côté, un gagne-pain rémunérateur, comme Margot, ancienne étudiante de Mohyla, diplômée en 2011. Elle présente la version russe de ce journal et a participé au lancement du programme Stop Fake. « Nous avons lancé le projet Stop Fake principalement car nous avons vu qu’il y avait beaucoup de désinformation et en tant que journaliste on s’est dit qu’il fallait essayer de faire quelque chose. Nous avons commencé avec le site et un peu plus tard avec la série de vidéos. » À 28 ans, elle a commencé le journalisme à 13 ans. Aujourd’hui, elle est musicienne et journaliste freelance. « Je crois juste que c’est quelque chose qui doit être fait. C’est important pour moi d’aider les gens à comprendre ce qu’il se passe », ajoute-t-elle.

Mais qu'est-ce que le "fact checking" exactement ?

Crédit : Pixabay

À la base, le "fact checking" est un travail de collecte de donnée et vérification par les faits, appelé couramment aujourd'hui « data journalisme ». Il est régulièrement présenté comme l’avenir du journalisme d’enquête, voire une véritable « révolution » pour le journalisme, une opportunité démocratique pour l’espace public. Le journalisme de données désigne un journalisme adapté à ce temps nouveau, qui implique de prendre en compte la masse et la complexité des nouvelles données.

Le documentaliste science de l’information numéro 50 donnait cette définition en 2013 : « Le journaliste de données est un navigateur comme les autres. La finalité reste la même : raconter une histoire, ouvrir des portes vers des réalités auxquelles le public n’a pas nécessairement accès. Pour raconter ces histoires et rendre compte de ces réalités, le "datajournaliste" ne voyage pas à l’autre bout du monde, au cœur de terres en conflit, il n’écume pas les archives de tribunaux à la recherche d’une anomalie pouvant confondre un homme ou une entreprise, il n’a pas la nécessité de faire des rencontres pour déchiffrer la condition humaine. Il se projette sur Internet, fouille des bases de données, trie le bon grain de l’ivraie, scénarise une visualisation. Il écrit simplement son histoire avec d’autres outils et il poursuit sa mission à travers la même déontologie que ses semblables. »

À l’origine, le "fact checking" est un service dédié dans les rédactions anglo-saxonnes qui a dévié sur la vérification de discours politiques, notamment aux Etats-Unis pendant les campagnes présidentielles. Stop Fake, lui, s’attaque à la propagande. « En dehors de l’Ukraine il y a quelques médias qui traient de la propagande dans leur propre pays mais ils ne publient pas forcément du nouveau contenu chaque jour. Ils font majoritairement de l’analyse, des longs formats, des recherches mais nous traitons l’actualité tous les jours. Et c’est très important car nous voulons être un bouclier à la propagande », insiste Yevhen Fedchenko.

Les méthodes de Stop Fake

Sur le site web, plus de 1000 faux ont été démystifiés depuis sa création. Comment ?

« Une quantité considérable d’informations sur des sujets d’actualité, dans notre cas – au sujet de la confrontation en Ukraine, est fausse. La raison principale de leur existence est l’utilisation de ces messages faussés dans un but de propagande. Les actualités sont utilisées pour influencer l’opinion générale, dans l’intérêt de telle ou telle force politique. Il faut préciser que nous nous occupons de faits prouvés, et pas d’affirmations », explique le journaliste Oleg Chankovskiy pour StopFake.org.

L’art des titres, fausses vidéos, articles, photos, tricher sur les dates, les lieux, les faits, faux documents, livres, faux experts, témoins, les médias russes emploient de multiples astuces pour créer un fake. Heureusement, Stop Fake a les siennes pour les détecter.

Le fake photographique est type de fake le plus courant et temps le plus facile à déceler. En général, on peut vérifier une image sur Internet en quelques secondes grâce à l’option de recherche des navigateurs web ou des plug-in spécifiques. Il est aussi possible de vérifier la date de la publication des photos et le réalisme de l’image. Par exemple, on peut distinguer les conséquences des combats en Syrie et en Ukraine. Sur la photographie ci-dessous, nous voyons qu’on a ajouté une flamme pour illustrer Donetsk «bombardée».

Il est plus difficile de travailler sur les fake vidéos car il n’y a pas de méthodes de recherche par rapport aux vidéos en général. Les "fact checkeurs" portent attention aux indices suivants: la date de mise en ligne et la quantité de téléchargement, les commentaires, le nombre de vues et surtout aux détails de la vidéo, par exemple, les noms des objets, les plaques d’immatriculation ou les plaques de rue. Ces détails permettent de déterminer le réalisme de sujet. Ainsi, Stop Fake a réfuté une fausse information concernant le yacht «Video Azimut 46». La chaîne de télévision russe NTV avait prétendu qu’il s’agissait d’un cadeau de la part d’un homme d’affaire local aux miliciens d’Odessa pour la protection de la Côte alors que le yacht était en location : les journalistes avait loué le bateau uniquement pour créer ce fake.

Conernant les témoignages, il est difficile voire impossible d’en vérifier la plupart, mais il y a des exceptions en prêtant l’oreille aux discours. De plus, il faut payer attention au témoin, on peut les reconnaître. Prenons l’exemple d’une certaine Maria Tsipko, aujourd’hui connue pour donner régulièrement des interviews aux médias en se présentant à chaque fois sous une identité différente : une résidente d’Odessa, une habitante du Donbass ou d’autres lieux dangereux.

La dernière astuce est de prêter attention aux déclarations des médias occidentaux. Grâce à ces méthodes, Stop Fake acquiert peu à peu une grande crédibilité, non seulement en Ukraine mais dans le reste du monde. Le site compte plus de 180 000 followers sur les médias sociaux (Facebook, Twitter, Pinterest, Youtube etc.).

Stop Fake Ukraine, forgé par la révolte

Place de l'indépendance, Kiev, février 2017. Crédit : Alexis Perché.

« L'avalanche de propagande venue du Kremlin a commencé au moment de la révolte Maïdan, ça a été la phase initiale de la recrudescence de la propagande. Il fallait qu’on réagisse », insiste le co-fondateur de Stop Fake.

Mais l’événement qui a réellement lancé le site de fact checking est bien sûr la « révolte Maïdan » et l’annexion de la Crimée par la Russie. On remarque d’ailleurs la concordance entre les dates de ces événements et la création de Stop Fake. Ces cas ont forgé Stop Fake, faisant passer son équipe de 5 à 29 journalistes et donc le contenu de son site de quelques articles par mois à au moins un article par jour.

« Maïdan a été importante en terme de droits civils dans la société ukrainienne et Stop Fake est seulement un autre exemple de cette révolution. Nous sommes regroupés car nous sommes d’abord des volontaires, c’est un exemple de cette inspiration de société civile post Maïdan », affirme Yevhen Fedchenko.

Tous les premiers fakes analysés de l’année 2014 et la majorité de ceux dénoncés jusqu’en 2016 concernent le rôle de la Russie dans la guerre qui a suivi la révolte Maïdan, les accords de Minsk, le soutient de l’occident à la junte et au nouveau gouvernement « militaire fasciste et totalitaire », l’annexion de la Crimée etc. Les fake sur la Crimée continuent, encore aujourd’hui, plus de trois ans après, à affluer dans les médias russes et à être dénoncer par Stop Fake.

« Les médias russes aiment aussi clamer que la guerre en Ukraine est en fait menée par les entrepreneurs américains, de l'OTAN ou privés, que l’occident et l’Ukraine sont en train de se désagréger, ou que le Donbass et la Crimée sont occupés par des gouvernements étrangers, des organisations internationales ou des médias étrangers, alors qu’il n’en est rien. On retrouve une vingtaine de sujets comme ceux-là qui sont récurrent et auxquels nous sommes particulièrement vigilants », accuse le rédacteur en chef.

« Fake: Un congrès international des diasporas ukrainiennes a eu lieu en Crimée », « Fake: La pression militaire sur les habitants de Crimée n’a pas été fixée par de l’annexion russe », Fake: La prospérité économique de la Crimée depuis sa réunification avec la Russie », Fake: L’Ukraine risque la sécheresse en bloquant l’accès à l’eau pour la Crimée », « Fake: Les Ukrainiens préfèrent la Crimée comme destination de vacances », « Fake: Les résidents de Crimée occupée et du Donbass ne vont pas obtenir de passeports biométriques », « Fake: L’annexion de la Crimée est l’un des exemples les plus impressionnants du fonctionnement de la démocratie », ces sept titres tirés du site de Stop Fake montrent à quel point la propagande autour de ces événements fondateurs est énorme et encore bien active.

Quelles sont les limites ?

Portrait de l'ancien Président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, vandalisée par les rebelles lors de la prise de sa demeure à Kiev. Crédit : Alexis Perché 

Est-ce un modèle qui peut réellement enrailler la propagande russe ? Malgré sa motivation et ses efforts, Stop Fake manque cruellement de moyens face à la masse d'informations venue de Russie. Comme nous l’avons dit, dans les zones occupées, les habitants ont très peu accès à une information correcte. De plus, Stop Fake a une équipe trop réduite pour traiter de tous les sujets. Les journalistes doivent obligatoirement faire des choix, certaines choses sont dites et d’autres non. Ne serait-ce pas également en quelque sorte une auto-censure ?

« Pour nous venir en aide, des mesures peuvent être prises au niveau national comme la désactivation des chaînes de télévisions russes, des restrictions sur le contenu multimédia produit en Russie comme les films, les séries ou les livres et empêcher les "journalistes" engagés dans la propagande d'entrer en Ukraine », insiste le rédacteur en chef. Mais à ce moment-là, qu’en est-il de la liberté de la presse ? Faut-il vraiment soigner le mal par le mal ? A l’arrivée du nouveau gouvernement post-Maïdan et de la nomination de Petro Porochenko en tant que président du pays, un ministère de l’information a vu le jour. Il s’agit déjà d’un premier pas vers un meilleur traitement de l’actualité en Ukraine.

Une propagande ukrainienne ?

La question se pose. Si la Russie déforme les faits, qu’en est-il des médias ukrainiens ? Pour Yevhen Fedchenko, la réponse est claire : « Je ne pense pas qu’il y ait de propagande ukrainienne, car l’Ukraine a un système médiatique très développé, vous pouvez lire de nombreux journaux, voire de nombreuses facettes de ce qu’il se passe, pas uniquement des médias opposés au gouvernement mais toutes les autres positions possibles. Nous avons une consommation de médias nationaux, mais aussi étrangers. Le gouvernement n’influence pas du tout les récits des journalistes. »

En effet, à quoi servirait-il de contrer un problème venant du pays voisin s’il existe le même dans le nôtre ? « Si nous avions une propagande ukrainienne, je suis persuadée que la Russie créerait un autre Stop Fake pour la dénoncer », ironise Fedchenko.

Selon les deux expertes de l’IMI à Kiev, les fausses informations qui circulent sur les sites ukrainiens ne sont pas délibérées contrairement à celles transmises par la Russie. Elles sont plutôt le fruit de la fainéantise de certains journalistes qui ne vérifient pas leurs sources et la véracité des faits. « Le plus grand danger vient des réseaux sociaux. Certains journalistes y prennent leurs informations et les relayent sans prendre la peine de vérifier. Mais aujourd’hui, les journalistes en général font beaucoup plus attention » insiste Oksana Romaniuk.

« Parfois nous trouvons des histoires dans les médias ukrainiens qui sont fausses, mais nous ne les appelons pas "propagande" car ce n’est pas systématique, c’est du mauvais journalisme », explique le rédacteur en chef. A chaque fois qu’une telle erreur est décelée, Stop Fake la corrige également. « Les intox qui viennent de médias ukrainiens représentent probablement un ou deux pour cents de nos sujets, mais déontologiquement il faut aussi que nous dénoncions les mauvaises informations qui viennent d’Ukraine », ajoute-t-il.

Pour ce qui est de contrer complètement la désinformation venant des médias russes, si cela est possible, la réponse devra venir non seulement du gouvernement ukrainien, mais aussi du reste du monde •