Le Cartoon Forum 
anime l'Europe 

Le marché de la coproduction de séries animées incarne le rêve européen

Alors qu'à Bratislava, l'Europe politique est apparue une nouvelle fois en crise et en panne, celle de la créativité était plus animée que jamais au Cartoon Forum, à Toulouse. 

Durant sa 27e édition, qui s'est tenue du 14 au 16 septembre, ce marché de la coproduction européenne des programmes animés a battu de nouveaux records : 950 participants (producteurs, créateurs, diffuseurs, vendeurs, acheteurs, fonds publics) s'y sont réunis autour des présentations de 80 projets de séries. 

Non : 81, car Marc Vandeweyer, directeur général (et fondateur) de Cartoon, avait réservé une place à une surprise, ou plutôt Surpriise !, autre record annoncé.

40 millions d'épisodes

Par un jeu de combinaison de 4x80 séquences animées, Surpriise ! promet quelque 40 millions (40 960 000 pour être exact) d'épisodes de 7 minutes, chacun à créer par le spectateur par une association de choix. Soit 4,7 millions d'heures de diffusion potentielle - record absolu.

Normaal Animation, le studio français derrière ce concept inspiré des Cent mille milliards de poèmes, le livre combinatoire de Raymond Queneau, devient virtuellement détenteur du plus grand catalogue de programme du monde ! Introduite (pour rire) par Barack Obama, la séance de présentation fut la plus délirante, de mémoire de Cartooniste.

Valeurs européennes

Le clin d'oeil a même valeur de symbole : grâce à Cartoon, les productions européennes ne font plus de la figuration de longue date. 

Environ 460 compagnies ou studios sont actives dans le secteur. Côté économique, le marché est demande : il y a en Europe quelque 300 chaînes ou plate-formes de diffusion destinées aux enfants. Plus des deux tiers sont des filiales de groupes non-européens, notamment américains. Désormais, ces derniers viennent chaque année faire leur marché au Forum : Disney, Nickelodeon, Netflix sont présents.

Symboliquement, c'est d'ailleurs une compagnie française, Xilam Animation, qui porte le projet de reprise de la mythique série Mr. Magoo - créée en 1949 au sein du studio américain UPA, avant de connaître la carrière que l'on sait au cinéma et à la télévision. 

La Corée du Sud, via le programme Cartoon Connections, est même pays invité, venant elle-même chercher ici des partenaires de coproductions. Les professionnels circulent et travaillent dans tous les pays du continent. Les pays de l'Est, loin du repli identitaire, font preuve de dynamisme : les Hongrois présentaient cette année trois projets.

BaDaBoo (Creative Conspiracy)

Pédagogie

A travers Cartoon Forum, le secteur de l'animation incarne mieux que tout autre les valeurs bien malmenées du projet européen.

Nombreux sont les projets de série qui tentent de transmettre des valeurs de tolérance, de diversité, d'ouverture au monde aux enfants - 65% des séries présentés visent la tranche enfant-famille ; 25% les pré-scolaires. 

La volonté pédagogique, le désir de faire des adultes de demain des citoyens responsables via l'animation est assumée, revendiquée par même, par une majorité de professionnel.

Parmi les projets belges présentés, quatre partagent ces vocations. 

BaDaBoo, de Creative Conspiracy, qui vise les pré-scolaire, stimule la créativité et les jeux de forme et d'esprit. 

Sir Mouse, de la Fabrique Fantastique, met en scène une souris qui se rêve chevalier : c'est la fille qui secours le prince, avec son ami dragon. Ou le détournement des stéréotypes par le divertissement et l'humour. 

Charly Vet, une production 1st Day, avec OUFTivi, pour les jeunes adolescents, suit une jeune fille qui rêve devenir vétérinaire. A travers ses aventures, le règne animal est dépeint avec rigueur et sensibilité.

Mush-Mush and the Mushables, de Thuristar, suit les facéties de champignons poupons ou adolescents comme la métaphore de l'enfant, qui forge sa personnalité au fil de ses découvertes et expériences de vie.

Sir Mouse (La Fabrique Fantastique)

Charly Vet (1st Day)

Mush-Mush and the Mushables (Thuristar)

La percée du feuilleton animé

Si les formats d'épisodes de 7 à 11 minutes demeurent le principal standard parmi les projets présentés au Forum, le succès de la série Les Grandes Grandes Vacances (Les Armateurs), diffusée sur France 3 en 2015 a ouvert la porte aux feuilletons animés. Pour les chaînes de télévision, le format est idéal, car il permet de fidéliser l'audience en créant des rendez-vous. Le public est manifestement mûr. Et de tels projets permettent de fédérer les générations.

Delphine Maury, créatrice des Grandes Grandes Vacances, a présenté au Cartoon Forum son nouveau projet, une adaptation de Tobie Lolness, collection de livres jeunesse de Thimotée de Fombelle, éditée par Gallimard et traduite dans trente langues. La série devrait compter treize épisodes de 52 minutes : une véritable révolution dans l'animation audiovisuelle. Le tout pour un budget très raisonnable de 7,5 millions d'euros.

Sans surprise, Les Armateurs, qui avaient, eux, produit Les Grandes Grandes Vacances, proposent également au marché une nouvelle série d'animation feuilletonnante. Runes est une fresque moyen-âgeuse située dans la Normandie du XIe siècle, de vingt-six épisodes de 22 minutes. 

Tobie Lolness (Tant Mieux Prod)

Runes (Les Armateurs)

Questions anglaises

La nation de l'animation européenne reste la France, avec plus d'un quatre des projets présentés. Le Royaume-Uni demeure un incontournable, à l'initiative d'un dixième des productions, ce qui ne va pas sans poser des questions dans la perspective du Brexit : comment la participation essentielle des Britanniques se redistribuera-t-elle d'ici deux à trois ans ? 

L'Irlande, qui était à l'honneur d'un focus spécial durant cette édition, pourrait être une base de repli : elle fait jeu égal avec son cousin anglo-saxon. Forte de divers soutien public et d'incitant fiscaux avantageux, elle est devenu en dix ans un acteur dominant du secteur, avec de nombreux studios actifs autant dans la série que dans le long métrage d'animation.

SVàD et cross-média

L'édition 2016 du Cartoon Forum confirme d'autres évolutions du secteur audiovisuel et de l'industrie du divertissement. Les plate-formes de vidéo à la demande (SVàD) sont plus nombreuses. 

Outre le géant américain Netflix, ODMEdia et Toon Googles sont venus faire leur marché. Le cross-média et le jeu vidéo sont désormais bien intégrés à la chaîne de production et de créativité - essentiellement en France et en Allemagne, mais aussi au Royaume-Uni. Cinquante pour cent des projets ont des déclinaisons sur au moins un autre support.

Dans ce dernier domaine, les extensions ne sont plus que des prétextes ou des gadgets. On voit émerger des propositions qui offre une réelle plus-value à la série en elle-même, prolongement interactif et, dans le meilleur des cas, éducatif pour les jeunes spectateurs. 

A cet égard, Badaboo, la série belge, présente une des réflexions les plus solides et cohérentes en la matière propre à stimuler l'imaginaire et l'inventivité des enfants. De la série intelligente.

A Cartoon Forum, l'Europe fait encore rire et rêver, dans toutes les langues.

L'animation belge 
dans tout ses états

The Macadam Valley (Narrativ Nation)

Mouse Mansion (Grid Animation)

Avec cinq projets au total, la Belgique reste bien représentée sur la carte de l'animation européenne. Elle voit même émerger des acteurs incarnant une nouvelle génération de créateurs, issus de la culture numérique. 

The Macadam Valley réunit à la création l'auteur-blogueur de bande dessinée Ben Dessy, scénariste de la web-série Euh, et la jeune maison de production Narrativ Nation, qui a notamment produit la web-série Typique.

The Macadam Valley, prévue sous forme de 25 épisodes de 5 minutes, est dépeinte par le producteur Dylan Klass comme "la rencontre entre le Springfield des Simpson, et "C'est arrivé près de chez vous"." 

En noir et blanc, visant un public adolescent et adulte, elle s'annonce caustique et joyeusement irrévérencieuse, dans l'esprit des strips de Ben Dessy.

La part du lion flamand

Mais hors cette présentation, qui a fait rire les professionnels du Forum à coup de Delirium Tremens et d'autodérision, c'est la Flandre qui se taille la part du lion de l'animation belge - avec des projets hautement qualitatifs comme Mouse Mansion, coproduit par Grid Animation, d'après les livres jeunesse à succès de l'auteure hollandaise Karina Schaapman. 

"Les producteurs wallons brillent par leur absence" notait, mi-figue, mi-raisin, un professionnel belge (francophone) au début de la 27e édition du Cartoon Forum. Pendant ce temps, Flanders Image, qui assure la promotion du secteur audiovisuel du nord du pays, se paie le luxe d'une grande banderole à l'entrée du Forum, présentant le fleuron des productions animées de ses créateurs.

Ce ne sont pourtant pas les talents qui manquent dans le secteur. Ni l'argent, d'ailleurs. "La modification de la loi du tax shelter a multiplié nos moyens", nous rappelle Isabelle Molhant, CEO de Casa Kafka Pictures, société de levée de fonds tax shelter. Liée à la RTBF, Casa Kafka a toujours veillé à un sein équilibre entre audience et soutien à la création. "Suivant cette philosophie, nous avons le volonté de soutenir également les jeunes créateurs et le secteur de l'animation" nous assure Isabelle Molhant.

Les ressources du tax shelter

Au Cartoon Forum, elle aussi regrettait l'absence de projets côté francophone, même si Casa ne fait pas de distinction linguistique et travaille à l'échelle nationale. 

"Sans doute peu de professionnels ont-ils conscience que le tax shelter peut aussi servir à financer des courts métrages ou des séries d'animation" observe-t-elle. "Avec la nouvelle loi, c'est d'autant plus vrai que l'investissement tax shelter n'est plus conditionné à une spéculation sur le rendement, donc le succès de l'oeuvre."

Par ailleurs, les chaînes belges francophones sont peu sensibles à l'animation, en dehors de la RTBF avec OUFTivi, seule en quête de séries à Cartoon Forum. "Les autres s'en foutent" déclare, lapidaire, un observateur avisé.

Revoir les critères de soutien

L'autre problème, côté francophone, est lié à la manière dont sont structurés les fonds d'aide. "La commission de sélection des films de la Fédération Wallonie-Bruxelles étudie les projets par formats : longs métrages, courts métrages, séries télés" explique Vincent Tavier, un des rares producteurs spécialisés dans l'animation. 

"Côté flamand, le Fonds audiovisuel (VAF) distingue les genres (fiction, documentaire, animation, expérimental) et, à l'intérieur de ceux-ci, attribue les aides à la production par format (longs métrages, courts, séries). L'avantage est aussi que les projets sont jugés par des gens qui connaissent bien les réalités du secteur." 

Les projets sont aidés dès l'écriture, jusqu'à la production en passant par le développement - des temps parfois longs en animation, qui nécessitent des investissements. "On voit le résultat : l'animation flamande existe."