Parasol

Le bonheur si je peux

Certains de ceux qui découvrirent "Parasol" en section "Nouveaux réalisateurs" au Festival de San Sebastien avaient qualifié ce premier long métrage de fiction de Valéry Rosier d'"Ulrich Seidl sans misanthropie". On ne saurait mieux dire, sauf peut-être à être plus précis : un "Ulrich Seidl avec de l’amour et de l’humour".

Cette œuvre originale, qui renouvelle le brouillage de repères entre fiction et documentaire suit, frontalement, trois destins vacanciers dans et autour d’un centre de vacances à Majorque. Ils ne sont jamais seuls mais éprouvent un terrible sentiment de solitude.

Il y a Alfie (Alfie Thomson), jeune Britannique au seuil de l'âge adulte, en vague quête d’amitié et, surtout, d’amour. Pere (Pere Yosko) incarne ces pères célibataires, qui tentent de trouver l’équilibre entre leur travail - accaparant - et la garde alternée de leur enfant - ici une fillette. Et puis il y a Annie (Julienne Goeffers), septuagénaire belge, coincée dans un voyage organisé alors qu’elle tente de retrouver l’homme dont elle a fait la connaissance via un site de rencontre.

Alfie (Alfie Thomson)

Pere (Pere Yosko)

On retrouve dans "Parasol" ce qui faisait déjà le charme des courts métrages de Valéry Rosier

Annie (Julienne Goeffers)

On retrouve dans Parasol ce qui faisait déjà le charme et l'intérêt des courts et moyens métrages de l’auteur, Dimanches (2011) et Silence Radio (2013). Dans ces derniers, quasi-documentaires, Valéry Rosier expérimentait déjà ce qu’il appelle son "cinéma participatif", où les saynètes étaient imaginées et mises en scène avec la complicité des protagonistes.

Trois générations

Trois générations, trois Européens, perdus dans un de ces lieux artificiels hérités du droit aux congés payés - des espaces artificiels où l’on parque les vacanciers un peu comme du bétail. Entre contrainte économique et choix esthétique, le réalisateur et son directeur photo ont opté pour un dispositif formel séminal : plan fixe, cadre large (au format Scope), où les personnages se perdent dans les décors. De part ce choix, et la thématique, on pense aussi au travail du photographe britannique Martin Parr (The Last Resort, sur les vacanciers de Brighton, Small World, sur le tourisme mondialisé de masse) ou à ses compilations de cartes postales involontairement comiques (Boring Postcards, Our True Intent Is All for Your Delight).

Le réalisateur étant belge, on pensera aussi par facilité à l'école Strip-Tease. Voire, en filant très loin les influences, conscientes ou non, à la dilatation du temps d'une Chantal Akerman. Valéry Rosier offre toutefois quelque chose de plus personnel et singulier. L’air de rien, sa distanciation n’est pas timide (ou hypocrite) dédain pas plus que posture formelle.

Critique sociale

La critique sociale affleure. Mais Valéry Rosier, pour observateur au regard incisif qu’il est, ne s’érige pas en juge. Il crée du sens et une narration en évitant les sentiers battus. Lesquels se construisent grâce aux ruptures de ton, aux répétitions ou aux oppositions. Il y a un art du cadre, mais aussi du montage. Bref : un style. Et une envie, réelle, de toucher le public, quel qu’il soit. Sans être aussi burlesque, Parasol tient peut-être plus de Playtime de Jacques Tati, critique mi-figue mi-raisin de l’urbanisation moderniste de Paris au mitan des Trente Glorieuses.

A l'instar de Tati, et au contraire de Seidl, donc, Valéry Rosier n’est pas un misanthrope désabusé pas plus qu’il ne pratique le cynisme ou la moquerie qui a pu transparaître dans certains Strip-Tease. Le réalisateur aime sincèrement ses personnages/comédiens. Il les respecte. Il cherche la beauté et la poésie dans les interstices d’un quotidien préfabriqué - et gratte pareillement les codes prémâchés de certaines catégories de cinéma. Les couleurs de son Parasol sont vives et le spectacle d’ombres chinoises qui se cachent derrière met en scène des instants d’humanité merveilleux.

Entretien

Valéry Rosier et le cinéma participatif

Nous avions découvert Valéry Rosier à l’occasion de la sélection de son court métrage "Dimanches" à la Semaine de la Critique, à Cannes, en 2011, où il fut primé. Le temps d’une journée, le réalisateur y suivait les occupations dominicales d’une poignée de villageois. Déjà, on ne savait trop où s’arrêtait le documentaire et où commençait la fiction. Depuis Nanouk l’esquimau (1922) de Robert Flaherty, tout cinéphile sait d’ailleurs que la frontière entre les deux est souvent un leurre, qui ne tient qu’à l’intégrité et à la déontologie du réalisateur.

Valéry Rosier, lui, ne s’en est jamais caché : il joue aux frontières du réel. "Je mets en scène mes documentaires et je capte le réel dans mes fictions." Ingénieur commercial de formation, tombé dans la marmite du cinéma sur le tard avant de reprendre des études à l’IAD, le réalisateur avait initialement abordé Parasol comme un documentaire. "Mais très vie, vu la nature du sujet, j’ai eu peur que l’on se moque des protagonistes. J’ai préféré alors construire une fiction, ce qui m’a permis de mêler humour noir et tendresse, deux choses que j’aime mettre dans mes films."

Valéry Rosier sait que ce tiraillement est vieux comme les frères Lumière : "Depuis toujours, les réalisateurs cherchent à produire l’illusion du réel dans leur film. Chacun joue de ses propres artifices. En ce qui me concerne, j’exploite le regard du spectateur en usant des codes du documentaire, qu’il reconnaît." Ce qui importe, c’est la sincérité. "Je passe deux contrats d’honnêteté quand je tourne un film : un, tacite, avec le spectateur et un, explicite, avec les personnages que je filme. Si je tourne une fiction, le premier est simple et clair : ce que vous voyez n’est pas vrai. Si je tourne un documentaire, ce qui importe alors, si vous mettez en scène les situations, c’est d’être sincère : ce qui importe c’est la vérité de mon regard."

Cette vérité tient dans Parasol aux comédiens, tous non professionnels et trouvé majoritairement via des petites annonces, dans la presse locale à Majorque et en Belgique. "Julienne est une habitante de Flobecq. Je cherchais une femme de 75 ans, un peu ronde, avec un regard doux. Elle a passé le casting dans le bar où j’ai tourné "Dimanches". Sa fille avait répondu à l’annonce pour elle. C’est une ancienne fermière, qui fait un peu de théâtre amateur et qui aime les défis. On a parlé de ses vaches laitières. J’ai découvert quelqu’un qui avait encore plus d’humour sur les situations que moi. C’était la première fois qu’elle se rendait à Majorque."


Comme dans Dimanches ou Silence Radio, Valéry Rosier a pratiqué ce qu’il appelle le "cinéma participatif". "Dans "Dimanches", je filmais des personnes réelles qui rejouaient pour moi leur dimanche. Les saynettes étaient pré-écrites et retravaillées pour aboutir à une forme maîtrisée. Dans "Silence radio", j’ai suivi la même approche mais en tendant plus vers le documentaire. Ici, j’évolue vers la fiction pure. C’est la première fois, par exemple, que j’ai écrit des dialogues."

Ce film qui évoque par la bande le tourisme de masse est qualifié en riant de "low cost" par le réalisateur. Le budget fut ridiculement bas, même pour un long métrage européen. La mise de fond initiale fut permise grâce aux prix remportés par les courts et moyens métrages précédents du réalisateur. "C’est la magie du cinéma aujourd’hui : tu peux tourner un long métrage avec une caméra qui coûte 2000 euros. Et bien que ce soit un low budget, tout le monde a été payé. Paradoxalement, cette économie offre une grande liberté. On ose tester certaines choses qui ne seraient pas permises avec des enjeux financiers plus conséquents."

Pour autant, les choix de mise en scène ne sont pas liés aux contraintes économiques. "S’imposer une contrainte esthétique est extrêmement stimulant. Elle pose des défis au montage, tout comme faire un film choral de trois histoires qui ne se croisent que de manière très indirecte." Et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, rien n’est improvisé : "J’aime que ce soit réfléchi. Je n’aime pas qu’une image soit hasardeuse."


L’impact de Parasol est universel. Partout où le film a été montré depuis son achèvement l’été dernier, public et critique sont à la fois enthousiastes et désarçonnés. "On m’a dit que ça ressemblait à film argentin scandinave" s’amuse-t-il. On l’a comparé à Ulrich Seidl ("mon héros" assure-t-il) ou Kaurismäki, pour l’humour, ce qui le flatte aussi. Le réalisateur mentionne aussi l’impact qu’ont eu sur lui les films néo-réalistes italiens ou l’œuvre du Britannique Peter Watkins - inventeur de la docu-fiction qui a le premier arpenté la frontière en réel et fiction dans des films comme Culloden (1964) ou La bombe (1965).

Valéry Rosier en six dates

1977 Naissance à Bruxelles.

2001 Diplômé ingénieur de gestion à l'Université catholique de Louvain. Entre à l’Institut des arts de diffusion (IAD).

2008 Premier court métrage Bonne nuit, primé dans une dizaine de festivals et nommé aux European Film Awards.

2009 Participe à des projets d’arts vidéo avec l’artiste belge Pierre de Mûelenaere.

2011 Deuxième court métrage, Dimanches, également primé dans plusieurs festivals. Il remporte le prix Découverte Kodak à la 50e Semaine de la critique à Cannes.

2013 Silence Radio, documentaire.Participe à des projets d’arts vidéo avec l’artiste belge Pierre de Mûelenaere.

2015 Parasol premier long métrage.