La migration africaine en Irlande a beau être un phénomène relativement récent, toutefois, la contribution des organisations africaines de la diaspora se fait déjà sentir. Ce mois-ci, nous avons rencontré M. Mbemba Jabbi, Directeur exécutif de l'Africa Solidarity Center Ireland, organisation membre de ADEPT basée à Dublin, Irlande.
Récemment, M. Jabbi a été récompensé avec le Prix International du Leadership de la Diversité pour son travail au profit de la diaspora africaine d'Irlande. Dans son interview à ADEPT, cet activiste international en développement, entrepreneur et consultant en migration et développement, parle de la situation de la diaspora africaine en Irlande.
Découvrez notre rencontre.
1. Parlez-nous de votre parcours
Mon nom est Mbemba Abdulie Jabbi, je suis originaire de l'est de la Gambie, à la frontière avec le Sénégal.
J'ai une formation en développement communautaire. De 1990 à 2002, j'ai travaillé pour une organisation non gouvernementale active dans le domaine de la microfinance. En tant que collaborateur en développement communautaire, mon travail consistait à accompagner les femmes entrepreneures en Gambie. Ensuite, j'y ai travaillé comme collaborateur régional de la microfinance pendant 3 ans (1999-2002).
En 2002, j'ai obtenu une bourse du gouvernement irlandais et ai, donc, pris la direction de l'Irlande pour suivre un baccalauréat en études du développement au Centre d’études du développement Kimmage. Á la fin de mon cursus, je suis resté en Irlande pour commencer un master en développement rural. Après avoir terminé mon programme, j'ai eu l'occasion de travailler pendant un an au Soudan pour une ONG irlandaise active dans la région du Darfour.
À mon retour de mission, j'ai repris mes études en développement communautaire, en faisant un second Master en gestion. J'ai commencé à travailler pour le Centre Africain en 2007, et au bout de 5 ans passés en Irlande, je me suis fait naturalisé et suis devenu un citoyen Irlandais.
2. Quelles sont les particularités et les enjeux de la diaspora africaine en
Irlande ?
La diaspora africaine en Irlande recouvre de nombreuses nationalités, et la plupart des migrant.e.s viennent de pays africains anglophones. Beaucoup de migrant.e.s viennent pour des études, certain.e.s sont venu.e.s en tant que médecins, infirmièr.e.s et ingénieur.e.s. D'autres arrivent en raison de leurs liens avec les missionnaires irlandais et un petit nombre de migrant.e.s sont des demandeurs/euses d'asile et des réfugié.e.s. Depuis l'an 2000, le nombre de migrant.e.s et de personnes d'ascendance africaine arrivant en Irlande pour des raisons de travail a fortement augmenté. Ils/elles sont venu.e.s des États-Unis, des Caraïbes, etc. pour travailler pour des sociétés multinationales, telles que Google, LinkedIn, Facebook, PayPal, etc. Plus de 70 000 personnes d'ascendance africaine vivent en Irlande et 60% d'entre elles sont des jeunes.
En ce qui concerne la cohésion sociale et la coexistence pacifique entre les communautés africaines et irlandaises, il y a encore beaucoup de racisme institutionnel. Trouver un emploi continue à rester une mission difficile pour les migrant.e.s africain.e.s. Tout d'abord, parce que les diplômes et compétences obtenues dans leurs pays d’origine ne sont pas reconnues. De plus, jusqu’à peu, leur nom, vu sur un curriculum vitae, les disqualifiait pour un entretien et le statut de réfugié constituaient un frein à l’embauche. Cependant, l’insertion professionnelle constitue une étape importante dans le processus d’intégration dans le pays d’accueil.
De plus, de nombreux/euses jeunes étudiant.e.s rencontrent de réelles difficultés à trouver un emploi, car certain.e.s employeur.e.s sont réfractaires à leur présence, les considérant comme une menace, plutôt qu’une opportunité. En effet, du fait que le nombre de migrant.e.s augmente, certain.e.s ont tendance à les voir comme une menace à leur accès à l’emploi.
En matière de migration, l’Irlande n’a pas de politique d’intégration claire. La grande majorité des lois sont élaborées et mises en œuvre sans avoir consulté les associations de migrant.e.s. De plus, les possibilités de financement des organisations de la diaspora travaillant avec les migrant.e.s restent encore trop insuffisantes, malgré le fait qu’elles sont souvent la première source d’information. Les fonds sont plutôt alloués aux organisations irlandaises, qui one une compréhension relative des besoins des migrant.e.s. En ce qui concerne le développement international, les organisations de la diaspora ne sont pas impliquées dans les politiques de l’aide et de coopération au développement dans leurs pays d’origine ou d’ascendance.
Je considère que cette situation est le résultat d'un manque de coordination entre les différentes organisations africaines. Le rôle de la diaspora est de prendre un engagement politique plus ferme pour créer du changement. Nous sommes sur le point de plaider pour un fond à destination des organisations de la diaspora africaine, tout en veillant à ce que nous contribuions aux questions d'intégration et de développement soient prises en compte.
Néanmoins, nous sommes fiers d’être témoins de nombreuses avancées positives au sein de la diaspora africaine en Irlande. Nous voyons plus d’africain.e.s travaillant au niveau gouvernemental et se lançant dans l’entrepreneuriat. Nous avons des médecins, des conférenciers, des avocats. C'est l’un des aspects positifs de notre présence en Irlande. Ces réalisations restent encore très limitées et nous avons besoin de plus d’efforts pour offrir des opportunités aux talents de la diaspora.
3. Qu’est-ce que vous a motivé à créer le Centre Africain ?
Le Centre Africain a été créé en 2000 et lancé officiellement en 2001 en tant qu'organisation caritative. Il est né d’un désir de changer l’image de l’Afrique pauvre véhiculée par les organisations caritatives dans le but de collecter des dons.
Ainsi, une petite communauté d’étudiant.e.s africain.e.s, de professionnel.le.s et de demandeurs/demandeuses d’asile se sont réuni.e.s pour changer cette image négative de l’Afrique en Irlande grâce à la création du Centre Africain.
Nous avons commencé par la mise en place des cours sur la politique africaine et l’organisation de conférences sur le continent. De plus, le Centre visait à devenir une plateforme de soutien, d’information et d’intégration pour les demandeurs/demandeuses d'asile africain.e.s.
Depuis sa création, le Centre Africain a soutenu les membres de la diaspora africaine dans différents domaines : l’éducation, la participation communautaire et le développement international.
En 2006, le Centre a mis sur pied le programme « Africa also Smiles», une démarche qui explore les «succès et forces» du continent africain. Le programme est dédié aux enseignant.e.s du primaire et du secondaire.
Le Centre African vise également à faciliter le dialogue et la participation communautaire pour l'intégration efficace de la diaspora africaine, en encourageant l'inclusion de multiples perspectives africaines dans le discours sur l'éducation au le développement, en travaillant avec des organisations et des individus africains. Il est devenu une tradition de célébrer les Journées africaines de libération et nous lançons, en octobre 2018, la Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine des Nations Unies (2015-2025).
4. Quels sont les projets et les activités réalisées par le Centre Africain sur le continent ?
Nous développons actuellement un programme pour encourager l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes, afin de garantir de meilleures possibilités d’emploi et des conditions de vie décentes aux personnes pour qui la migration devrait être un choix plutôt qu’une nécessité.
Nous aimerions engager les gouvernements irlandais et africain à changer leur discours sur la migration et à élaborer des politiques nationales fondées sur le respect de la dignité et des droits humains. Nous estimons que des efforts supplémentaires sont nécessaires pour développer le potentiel du continent, sans pousser les gens à risquer leur vie dans des voyages dangereux.
5. Vous avez récemment reçu le Prix International du Leadership de la Diversité, que signifie cette récompense pour vous ?
C'était une surprise, je me suis senti extrêmement honoré et privilégié de le recevoir. Le prix m'a encouragé à m’engager davantage. Il a reconfirmé que je suis sur le bon chemin et cette reconnaissance me motive à suivre ma vision.
Bien que le prix soit à mon nom, il représente un travail accompli par toute la diaspora africaine en Irlande. Les personnes à l'origine de ce prix sont celles qui travaillent dur pour faire entendre la voix de la diaspora en Irlande. C'est pourquoi, ce prix est une grande récompense pour tous ceux/celles qui ont œuvré pour une meilleure intégration et visibilité de la diaspora africaine en Irlande.
6. Quel message souhaitez-vous passer aux organisations de la diaspora ?
Le développement de la diaspora est NOTRE responsabilité, personne d'autre ne le fera pour nous. Nous devons être la voix de la diaspora qui n’en a pas et veiller à ce que cette voix soit entendue. L’Europe est sa maison aussi, alors nous devons nous assurer que cet espace appartient à tout un chacun.
En ce qui concerne le développement de l’Afrique, il est temps de comprendre que la diaspora en est un acteur indéniable, que certain.e.s d’entre nous rentreront chez eux/elles. Nous opérons des transferts de fonds et nos enfants investissent dans nos pays d’origine. Nous comprenons les réalités africaines et européennes, nous avons les compétences et les ressources, et nous aimerions travailler avec les acteurs/actrices du continent pour stimuler le développement en Afrique.
Enfin, nous devons investir dans nos jeunes, car ils sont les leaders d’aujourd’hui ! Offrons leurs des opportunités, afin qu'ils/elles puissent créer leurs propres emplois et en offrir à nos communautés.
