Roberto Regazzi, l'amour du violon

Un luthier de renommée mondiale

C'est une figure culturelle incontournable à Bologne. Le violon le fascine, l'obsède même. Roberto Regazzi est devenu une référence mondiale dans la fabrication d'instruments à cordes frottées, qu'il vend à prix d'or. 40 ans après le début de sa carrière, son amour pour l'instrument n'a pas cessé d'augmenter.

Tout au long de la journée, Roberto Regazzi fait ses gammes. Pas celles d'un violoniste. Mais celles d'un luthier, "a violin-maker", comme il dit. Dans son atelier situé dans un quartier calme et quelconque, Via Angelo Musco, à l'est de Bologne, il continue de travailler sur l'alto d'une cliente suisse : "Elle me l'a commandé il y a trois ans. J'ai commencé à travailler dessus en novembre de l'an dernier. Et je compte le terminer avant l'été." Au programme aujourd'hui, nettoyage et polissage de la surface de l'instrument, quelques finitions et préparation du gloss pour le faire briller. "Même faire disparaître une petite tâche prend énormément de temps."

Roberto Regazzi n'arrête jamais de travailler. Il passe du violon à la réparation d'outils et de pièces diverses. Et, entre-temps, il est interrompu par de nombreux coups de téléphone. Une dizaine de violons qui, pour la plupart attendent des restaurations, sont présents dans son atelier. Des flacons avec toutes sortes de lidiques, une odeur de bois, des ciseaux, lames et crayons en tout genre... Le lieu revêt une dimension sacrée. T-shirt violet, tablier rouge, le luthier a toujours quelque chose à faire. Sur ses violons, il imprime sa patte. Son travail est toujours accompagné de musique, qu'il varie selon son état d'esprit. Elle est en lui.

L'atelier de Roberto Regazzi, situé via Munca dans un quartier quelconque de Bologne. Photo : Victor Lengronne

Dès l'âge de 6 ans, il se passionne pour la musique : " Les enfants de mon âge jouaient au foot ou à d'autres sports. Je n'aimais pas la même chose qu'eux. J'écoutais du classique, du Dukas, du Ravel… J'étais différent." Pourtant, le violon n'est pas l'instrument vers lequel il se tourne. A 14 ans, il débute l'apprentissage de la guitare, sans devenir un grand prodige. Déjà passionné par la construction et conscient de son savoir-faire, il sent qu'il a des aptitudes manuelles. "Je pense que je suis né artiste."

"Le violon est l'instrument le plus intrigant"

Un premier tournant s'opère en 1971. Regazzi a 15 ans lorsqu'il fait la connaissance d'Otello Bignami, luthier bolonais et référence mondiale dans la construction de violons. Mais pas de guitares. "Il ne pouvait pas m'enseigner la guitare. C'était juste une rencontre …"

Roberto Regazzi travaille sur le modèle d'une violoniste suisse qui lui a passé commande il y a trois ans. Photo : Victor Lengronne

Une rencontre apparemment quelconque. Mais déterminante. En 1977, il est amené à revoir Bignami. Roberto a progressé dans le travail du bois et de son art. Mais il est à l'université, en études de physique. Des études qui satisfont ses parents. Son père est ingénieur, sa mère styliste. Il n'a pas un destin de luthier. "Seule ma grand-mère pratiquait la mandoline, à petit niveau." Qu'importe, Roberto Regazzi veut devenir luthier et fabriquer des instruments. Il y parvient, malgré la réticence de ses parents : "Ils avaient peur pour mon avenir."

Une école de musique à Cremona ou Parme ? Pas pour lui. Il sera luthier. Bignami le prend comme élève. Regazzi va apprendre comment fabriquer un violon. Mais il part de loin. "Otello m'a dit : "Tu ne peux pas réussir à fabriquer un instrument si tu ne sais pas en jouer." Il s'y met. Un amour est né.

Roberto Regazzi procède au vernissage du violon, une des étapes les plus difficiles. Photo : Victor Lengronne

Un amour qui le pousse à arrêter définitivement la confection de guitares en 1989  - il en a construit environ quarante. "Le violon est l'instrument le plus intrigant au niveau acoustique. J'ai déjà fabriqué deux violons jumeaux au début de ma carrière. Mais le son était quand même différent. C'est très compliqué de faire un bon instrument. Cela nécessite beaucoup de connaissances générales et de se renseigner sur la psychologie du musicien, de la sensibilité et de l'amour. Je ne regrette pas cette décision." Il a fabriqué plus de 120 violons, trois par an en moyenne.

"Le bois me parle"

Roberto Regazzi travaille sur un autre projet, un violon qui lui tient particulièrement à cœur. Un instrument en hommage à Aida Stucki, grande artiste et professeure suisse, décédée soudainement il y a sept ans. C'est ému qu'il se confie : " J'admire Aida Stucki. J'entretenais d'excellentes relations avec elle. Je n'ai pas pu la voir une dernière fois. C'était la professeure d'Anne-Sophie Mutter, un génie du violon, pour qui j'ai eu la chance de fabriquer un modèle." Ce violon est tout à fait unique : "J'ai voulu le fabriquer chez moi (son deuxième atelier se trouve dans sa maison à 25 km au sud de Bologne, dans les montagnes). J'ai utilisé un bois venu de Bosnie-Herzégovine, vieux de 100 ans. Un bois tellement rare, tellement spécial. Le bois me parle." Ce violon sera à la hauteur de ses attentes. Il le sent.

Le violon de l'artiste suisse se finira d'ici là. La patte de Roberto Regazzi est déjà présente : il a son étiquette présente au fond de l'instrument à cordes. Photo : Victor Lengronne

Anne-Sophie Mutter est une légende vivante. Elle fait partie de ses clients, comme pas mal d'autres violonistes professionnels et internationaux. Des artistes qui peuvent se permettre de payer le prix, quelques dizaines de milliers d'euros. Au début de sa carrière, dans les années 1980, ses violons se vendaient à un peu plus de 500 €.

Roberto Regazzi est devenu une référence mondiale dans la lutherie. Mais il n'en a pas perdu son humilité, campé dans son atelier intégralement en bois. Ni son sourire. Sa passion se voit, se ressent. Alors lorsqu'il vient voir ses clients se produire lors d'opéras ou de concerts, il est touché : "C'est formidable ! Je vois que je ne vis pas pour rien. Je sens mes instruments vibrer. C'est une combinaison entre mon savoir-faire et le leur. Un violon sans un bon violoniste ne produit pas de son intéressant."

Une mission

Cette admiration traduit bien son adoration pour la musique et le violon. Toujours adepte de la belle formule, il raconte ce lien indéfectible. Un lien naturel. "Je pense que la musique sert à remettre les choses dans le bon ordre. Je suis tombé amoureux du son. Chaque son est singulier, c'est fascinant. Grâce à elle, j'ai eu une vision. J'ai vu la lumière. C'est le meilleur moyen pour faire ressentir des émotions."

L'amour du violon est lié à celui qu'entretient Roberto pour Bologne, sa ville natale qu'il n'a pas quittée plus de quatre mois d'affilée dans sa vie. Il ne se voit pas ailleurs. Même quand il est allé à l'étranger, c'était pour le violon : promotion de livres, jury de concours, concerts de ses clients… "Ma vie est dédiée aux violons et à Bologne." Ses lieux favoris ? Le Collège d'Espagne, "un édifice qui ressemble à un château avec un magnifique jardin". Mais aussi la place San Francesco, "avec des platanes géants".

A 62 ans, Roberto Regazzi pourrait se reposer, prendre sa retraite, tourner la page du violon. Mais non : "Il est impossible que j'arrête. Je suis né avec ces aptitudes. Je ressens ce besoin de continuer, pour représenter le son et la musique. J'ai une mission."

Victor Lengronne

Roberto Regazzi possède des centaines de liquides pour vernir ses pièces, par exemple "l'olio paglierino", huile de couleur jaune paille. Photo : Victor Lengronne